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CINÉMA – CRITIQUE DE FILM – BRESSON

« Le Procès de Jeanne d’Arc » (Robert Bresson)
Bien entendu : un art de la rigueur. Mais il faut définir cette notion : Bresson a dit qu’il avait construit son film sur les paroles. On peut donc s’attendre à une mise en question du langage. Tout le film est centré autour de Jeanne, il est vu par elle, elle a cette volonté (qui est aussi celle de l’auteur) de scruter ce qui l’entoure, d’en prendre conscience pour y chercher un signe. Ainsi les paroles de Cauchon, aussi bien dans leur fond que dans leur forme, étroitement unis, elle les interprète comme un signe du Mal, et ses paroles à elle jaillissent directement des questions sans jamais s’égarer, car elle tire sa force de la connaissance du Mal, étant elle-même une envoyée du Bien.
On sent chez elle, dans ses réponses, une volonté de « donner l’assurance », d’être, à travers son existence, signe du Bien. Cette attitude, concernant l’être profond de Jeanne, dépasse l’interlocuteur, signifie pour « tout le monde ». Le renoncement momentané de Jeanne s’explique par « la vue du feu » et les cris de la foule. Sa chair a pris le dessus sur sa conscience, elle a cessé de contempler le Mal, effrayée (fermant les yeux) et a perdu ainsi sa source de force.
Le plus intéressant, peut-être, du film réside dans la reprise de Jeanne. Elle provient de l’ordre de l’évêque de quitter l’habit d’homme. Il y a ici (ce n’est qu’une interprétation) un passionnant essai sur la sexualité, merveilleuse violation des tabous, institution de la femme nouvelle. À fleur de peau, je prends conscience de l’originalité de cette vision d’une femme farouchement attachée à ses habit d’homme. Certains plans montrent Jeanne assise ou marchant, sans qu’on soit très sûr qui ne s’agit pas là d’un adolescent. Par-delà l’habit, c’est le corps qui est observé, Bresson ne fait pas de différence entre le corps masculin et le corps féminin, spiritualisant l’un et l’autre (habits de velours, étoffes sobres…) mais là où la magnifique révolution s’arrête, c’est sur cet escamotage de l’acte sexuel, auquel on pouvait s’attendre, dangereuse impasse à laquelle risquait de mener la vision première d’un corps uniforme et dans laquelle malheureusement Bresson ne manque pas de tomber : cette volonté de « rester vierge ».
C’est en se révoltant contre l’ordre de l’évêque, et en prenant conscience de sa révolte, comprenant par là qu’elle est l’esprit pur du Bien, que Jeanne trouve la force d’affronter sa mort. Un plan de la fin du film est très significatif : le plan de la croix tenue devant la mourante. En effet il y a ici un échange secret : ce plan peut être celui que voit Jeanne, y trouvant un signe du Bien, mais il peut aussi bien être une métaphore désignant la mourante. Il y a ainsi la reconnaissance du Bien (Jeanne) qui se fait en même temps expression du Bien (Jeanne encore). Il y a communion de signe à signe.
L’uniformité du langage provient de la permanence de la fonction de signe de ce langage.

Procès de Jeanne d'Arc - Bresson - Jeanne et la croix
(Peu de temps après)
Le procès de Jeanne d’Arc est un modèle de vie.  En en sortant, j’ai touché les tissus d’une autre façon…

– Note écrite à 16 ans

VÉCU

18 ans

Ces choses-là n’ont plus d’importance aujourd’hui. Problème de l’avenir. Je vais passer le bac. Réussite ou échec ? Si je rate → pion ? Si je le réussis ? Prof ? Je crois que je renonce au cinéma. Ne pas se faire d’illusions. Gagner ma vie. Ne plus dépendre de mes parents. Dans combien de temps serai-je capable gagner ma vie ? La vie = aliénation (Cf. théorie marxiste de Lefèvre). Dans combien de temps pourrais-je être avec Jo sans emmerdements ? On ne fait jamais ce qu’on veut. Vie = contraintes. Les gens s’en rendent compte, mais ne peuvent pas faire autrement. Le premier problème n’est pas d’être intelligent. On ne fait pas le mal par ignorance. C’est le mal qui se fait à travers nous dans le monde. Impression d’être pris dans un engrenage. Nécessité d’accepter ces contraintes. Lucidité. Problème de la mort au bout du compte.


 L’amour. L’art. La collectivité. Dictature nécessaire dans les débuts du Marxisme. Plus d’enthousiasme. Lucidité lourde à porter. Est-ce cela être un homme ? Les hommes d’aujourd’hui ne sont pas des hommes. Accepter l’ordre social, mais reconnaître qu’on y est obligé et ne pas le défendre. Bourgeois : le défend. Certains éléments de la petite bourgeoisie sont récupérables.

Note écrite à 18 ans