(3 h du matin)
J’ai dans la tête la chanson enfantine du bouquin que j’ai acheté à Agnès : « Mon âne, mon âne, a bien mal à la tête… » et, en même temps, je pense très fort et très concrètement à partir.
Je n’ai pas réussi à dormir, il a fallu que je rallume, que j’aille chercher le dernier paquet de cigarettes dans le bureau où dormait mon père et que j’ouvre ce carnet pour écrire, pour « fixer » les choses, parce que – comme cela m’est déjà arrivé –ça m’a « sorti de ma torpeur », mis debout, « réveillé », secoué !
Partir. La quitter. Quitter cette merde. Cette mort. Cette prison. Cette médiocrité. Trouver la solitude, je le sais, les moments difficiles, je le sais. Surtout que mon expérience passée m’aura servi de leçon : ma libération sera solitaire ou ne sera pas !
Je m’organise : d’abord l’hôtel, en attendant.
Trouver une piaule. Une merde, je m’en fous. Douche : dans l’immeuble, s’il y en a. Sinon, on verra. Cuisine : je ne boufferai pas là ou du pain et du jambon ou alors : camping-gaz. Meubles : matelas-mousse. Une table. Une chaise. Une lampe. Une armoire (?).
Mon problème, c’est le téléphone. Surtout en ce moment. Et le courrier. Le faire expédier sur boîte postale.
Mais je crois bien que cette fixation sur le concret est une surenchère, un activisme destiné à déplacer l’apparition (la mienne) de l’abstrait, c’est-à-dire de la décision qui naît d’une chose pas concrète, d’un sentiment, d’une conviction.
J’ai attendu. J’attends le moment où je serai sûr que je ne peux pas faire autrement.
En fait, il faut envisager de changer ma vie. Ne pas être acculé par elle, mais la dominer, la diriger, la prendre en main.
Qu’espérer de Jocelyne ? Qu’espérer lui apporter ? Elle soutiendra sans doute farouchement qu’elle trouve son compte à la vie avec moi. Mais, en réalité quel « contentieux » entre nous !
– Le vieux problème sexuel, jamais réglé, réactualisé par cet enfant dont je ne veux pas : je refuse de faire l’amour avec elle si elle ne prend pas la pilule, elle ne veut pas la prendre – vieux refus – voulant cet enfant et s’accommode bien, s’accommode en tout cas, de cette cessation de nos rapports.
– Nous nous éloignons l’un de l’autre sans manque. Nous n’avons pas à être ensemble d’autre satisfaction que celle de l’habitude.
– Nous ne faisons plus rien en commun.
Nous ne nous aimons plus. L’amour, cette joie d’être ensemble, cette compréhension, cette complicité… J’ai l’impression d’en avoir perdu la clé, que quelque chose s’est brisé en moi et que j’ai vis-à-vis de l’amour désormais une très grande méfiance, un manque absolu d’illusion. De ce côté-là, ce n’est peut-être pas plus mal. L’avenir me le dira. Si je pars, je me promets que c’est la lucidité qui conduira ma vie
– Note écrite à 31 ans