Carnet 13 – Du 4 décembre 1967 au 20 février 1968
04/12/1967
VÉCU – ARGENT
Dépensé aujourd’hui :
1,00 Téléphone
1,40 Consommations (Grand-Palais)
1,30 Carnet
1,50 Consommation (Villiers)
5,00 Consommation (Trocadéro)
1,40 Ticket RU
1,45 Gauloises
12,65
VÉCU – PSYCHOLOGIE/PSYCHANALYSE/MON PSYCHISME – RÉFLEXION
Apparition plus précise d’un père… M’en passer. Le remplacer. Attendre qu’il vienne me chercher, inversant les rôles.
Cette étonnante désinvolture – et même cruauté parfois – des gens à qui la vie a été facile. Sans doute parce qu’ils ne se doutent pas que tout le monde n’est pas comme eux. Ils ignorent les petites souffrances, eux qui ne connaissent même pas les grandes…
LITTÉRATURE – PROUST
Je suis dans l’aquarium de Proust
Les personnages de Proust : plusieurs faces d’une même et unique personne ?
CINÉMA – HITCHCOCK
Savoir manier le cinéma-langage… Voir « Marnie »…
Utiliser les mécanismes logiques ? = Prendre un objet et chercher dans quel sens s’engager grâce aux relations possibles de cet objet avec d’autres. La relation première en entraînant une autre, etc., etc.
Qu’est-ce qu’un personnage ?
Hitchcock : pouvoir « raconter » une idée. Raconter = résumer. Point fort – Préhensibilité. Plus que ça… Pourquoi le langage dans le cinéma ? Parce que : cinéma = langage, avec un autre langage, on raconte la même histoire. Les langages se superposent…
La critique est un discours à côté du discours filmique (Cahiers). Logique que Les Cahiers = Hitchcock – Lang – Hawks – Renoir (surtout Hitchcock et Hawks).
Utiliser cinématographiquement mon aventure de ce soir :
La foule au TNP pour aller voir « Les Ballet du XXe siècle » de Béjart. Les gens qui ont loué. L’affichette « complet ». L’énorme queue de 50 m de long et 6 m de large pour ceux qui restent.
Jocelyne – qui avait eu son billet par l’école de danse – entrant et me laissant seul dans la queue, avec un petit geste désolé de la main. La queue d’une demi-heure – la foule – le bruit – pour m’entendre dire : « Il n’y a plus de place » à 3 m du but… Je remonte, déçu. Toujours : ces gens qui descendent, ce bruit, cette rumeur… Je tournicotte dans le hall d’entrée, espérant je ne sais quel Messie… J’aborde trois ou quatre personnes qui, comme moi, cherchent quelqu’un qui vendra son billet au dernier moment, l’ami ou la fiancée attendus ne venant pas. Pour demander, avant de partir, l’heure de la fin du spectacle (décidé que je suis à attendre Jocelyne dans le quartier, trouvant du charme à participer au spectacle par mon désir et mon absence), je redescends les escaliers. Arrivé là, j’aperçois une masse de gens autour du guichet de vente, brandissant ça et là au-dessus des têtes des billets de mille, de cinq mille francs, par poignées, comme aux enchères… Je me mêle résolument à la foire d’empoigne… Je joue des coudes, du parapluie, brandissant les deux billets de mille que Jocelyne m’a donnés, j’arrive à ce comptoir de la culture : « Plus de place ». Et, cette fois-ci, c’est pour de bon. Déçu pour de bon aussi, je remonte lentement les escaliers, parmi les journaux déchirés et les trognons de billets, mêlé au dernier quarteron des nostalgiques vaincus…
L’air libre. Plus de bruit. La lueur rouge du ciel. La rue sans chorégraphie. Je descends vers la Cinémathèque. Pourquoi faire ? Je sais que c’est relâche aujourd’hui. La lumière est allumée. Une échelle : il y a des peintres… Je traverse les jardins du Trocadéro. À ma droite : le bloc massif du bâtiment, hermétique, silencieux, renfermant soigneusement son tumulte intérieur…
C’est là qu’une idée qui trottait, imprécise, dans ma tête, me prend soudain aux reins, comme un rut culturel… Pourquoi ne pas essayer de pénétrer en douce ? D’entrer en douce dans ce temple secret ? J’essaye deux, trois portes, en vain : verrouillées, métalliques, elles ne cèdent pas leur ombre. Alors, en ultime ressource, je joue ma dernière carte : je descends à droite du fronton : la petite entrée du cours Dullin est ouverte, lumineuse. J’entre. Si l’on m’interpelle, je dirai que je viens assister aux cours, pour chercher des acteurs. En passant, je surplombe rapidement une scène toute neuve, encore encombrée de pots de peinture et j’entends, sur ce travelling désertique, une voix de garçon et une voix de fille échangeant les répliques d’un texte dramatique. J’entends sans voir. Je ne suis ni vu ni entendu. Contact fugitif et mystérieux. Une porte à droite. Deux petites marches. Une porte à gauche. Où débouché-je ? Tout bonnement derrière le comptoir du bar du TNP… Au-delà, à droite, les grandes salles du théâtre et les immenses piliers.
Je me décide, joyeux, à accéder au but : Arsène Lupin – Giorgio Albertazzi dans « Marienbad », je passe par-dessus le comptoir. Merde ! Des gens. Mais ils attendent la fin du ballet en cours pour entrer… J’ôte mon pardessus, m’installant, et je me paye le luxe, moi, de ne pas attendre. Je choisis mon endroit : le balcon et je pousse la porte : c’est bien ça. Béjart est là, ils dansent. Ça claquette dur. Noir de la salle. Milliers de gens. Moi arrivant. L’argent de service :
« Vous n’avez pas de billets ? » (Tout bas).
Moi :
« Ça fait une demi-heure que j’attends… »
Lui (n’ayant pas compris »
« Attendez, on va vous placer. Vous pouvez vous mettre au fond… »
Moi (vivement) :
« Non, non, merci. Je vais rester là. Je ne veux pas déranger les gens (toujours généreux, le fourbe… »
Ça ne vous dérange pas je me mette là ? (Désignant une chaise près de lui, encombrée de son képi…) mais je n’aurai pas conservé le privilège de la chaise de l’agent de service… Je file vers une marche où je m’installe et regarde enfin dans ce lieu où je suis seul à être entré aventureusement, seul à avoir cette vision si particulière des choses que donne la certitude d’avoir fait une chose unique et singulière…
06/12/1967
VÉCU – ARGENT
Dépensé aujourd’hui :
1,45 Gauloises
1,40 Sandwich
1,60 Timbres + Nuts
1,00 Ticket bus
5,45
VÉCU – IDHEC
Lundi 11
10 h : mobilier M.
14h 30 Répétition M.
Mardi 12
Tournage M.
Mercredi 13
Tournage M.
Jeudi 14
9 h Remise en ordre mobilier
14h 30 Technique TV + projection
Vendredi 15
10 h TP Montage
Samedi 16
10 h Histoire du cinéma + Perez
PSYCHOLOGIE/PSYCHANALYSE/MON PSYCHISME – RÉFLEXION
Le Rire. Interprétation psychanalytique. Deux niveaux dans les réactions humaines :
– Réaction neutre = on constate, on enregistre. Pure objectivité.
– Réaction colorée d’affectivité, émotionnelle. Rapport de soi au monde → jugement. Ce genre de réaction (tristesse – peur – colère – rire) implique un jugement sur le fait qui la provoque.
Or : jugement = partialité – subjectivité. Importance du psychisme. On peut dire qu’à l’occasion d’un jugement, dans la relation monde-soi, c’est le dernier terme qui est le plus important.
Psychisme = ensemble de désirs et de répulsions.
Dans le cas de certaines réactions = tristesse – peur, cette importance des désirs (déçus) ou des répulsions (alimentées) est évident.
J’imagine que le rire est une réaction analogue, faisant intervenir également des désirs et des répulsions.
Je vois une indication importante dans le fait que le rire peut éclater dans des situations qui n’ont rien de comique (crise de nerfs – crise pathologique mentale – hystérie).
Je pense qu’on peut concevoir le rire comme une libération de l’organisme (c’est pourquoi le rire serait si fréquent = il a un aspect régulateur).
Le rire a lieu lorsque se produit un fait ou lorsque quelqu’un fait une assertion qui contredit la réalité courante. Or la réalité est bien souvent décevante. Elle déçoit les désirs des gens. Lorsqu’intervient un élément contredisant cette réalité, fictivement, ces désirs sont satisfaits. C’est une satisfaction pour l’individu, une réalisation de ces désirs, c’est-à-dire une libération. Alors se produit une réaction « hystérique » : décontraction de l’organisme (contraction → décontraction). Désirs réalisés ou répulsions anesthésiées, d’ailleurs…
Les autres réactions émotionnelles (peur – tristesse, etc.) proviennent au contraire de la sensation d’imminence de quelque chose, de présence de choses ou d’événements qui, eux, au contraire, déçoivent des désirs ou aliments des répulsions. Elles sont le sentiment d’une réalité douloureuse. Le rire est le sentiment d’une fiction agréable. D’où le sentiment de joie qui accompagne le rire.
Il peut y avoir des variations plus ou moins subtiles à ce principe :
Exemple : profitant du sentiment de fiction, on rit lorsque quelqu’un présente un élément contraire à nos désirs ou alimentant nos répulsions, mais à condition que ce soit une fiction, car alors la réalité signifie que nous sommes à l’abri de toute attente ou déception.
Idem pour le rire sadique qui nous secoue lorsque nous voyons quelqu’un tomber, se faire mal : cette réalité, devant nos yeux, concernant quelqu’un d’autre, elle nous apparaît comme une fiction par rapport à nous. Notre réalité à nous, elle, est confortable.
Autres réactions au malheur des autres : constatation objective. On retombe dans la réaction neutre, l’indifférence.
Autres réactions au malheur des autres : l’identification → le tragique : tristesse – angoisse – peur. C’est le contraire du rire.
Le rire est fondé sur la contradiction fictive : contradiction de la réalité par la fiction ou de la fiction (d’une réalité qui apparaît comme fiction) par la réalité (les mots réalité et fiction étant pris au sens subjectif, par rapport au psychisme). Cette contradiction, dans tous les cas, étant un progrès, une satisfaction des désirs ou une anesthésie des répulsions du psychisme.
07/12/1967
VÉCU – IDHEC
Monsieur Guidoni part en vacances le vendredi 15
Jeudi 14 : rendez-vous à 13h30 → professeur Monsieur Spitz
ÉCRITURE – IDÉE SCÉNARISTIQUE
Hier : idée de scénario pour une petite chose.
Un gars et une fille couchent ensemble. Le lendemain matin, elle dort. Il se lève, ouvre son sac et prend son portefeuille. En fouillant le sac, il trouve une alliance… Il la prend et s’en va.
08/12/1967
VÉCU – AMIS
Contre-ordre téléphone lundi chez moi après 20h15 rappelle Jean-Louis nécessité impérative retarder mon départ vacances stop ne me laissez pas tomber Roberto
VÉCU – CINÉMA – POLITIQUE
Notes prises pendant conférence de presse « Loin du Vietnam » :
Godard : origine = mouvement des (illisible)
Resnais : comment = réunions au départ (difficile) # prise parole dans cinéma
Pas un film objectif
Resnais : film = ours mal léché ←questions qu’on se pose
Date du 15 août 1967 = important
Distribution ?
Agnès Varda = solidarité
But = vu par le plus de monde surtout aux USA
(étudiants contactés)
Sinon = distribution normale en France et étranger = souhait
« Cinéma-manif »
Question Magnum Allemagne fédérale : « Acceptez-vous les coupures en Bavière ? » Resnais = coupures refusées → projection intégrale
Question participant (Godard) une heure film → Marker qui parle 5 minutes Lâche et paresseux → faire un film sur moi
Question : On dit inobjectivité assumée ?
William Klein : objectifs différents
Réponse = même objectif. Vision subjective du spectateur
(Illisible) = manif pacifiste = protestation
Jean Lacouture : film égal prise de position. Pas d’histoire de la guerre du Vietnam.
Question : metteurs en scène complètement d’accord ? (nuances) Pas le même principe, le même but (Varda)
(illisible) commune.
Question : relation avec le tribunal Russell et influer sur militaires américains ?
Militaires influencés par opinion publique
Film = catalyseur
Il le souhaite
Vie = souhait (Resnais)
John : même route que tribunal Russell
Question : Qui a fait la synthèse ? → Marker.
Réponse Varda : convenu, autant que montage collectif mais = décision finale chacun monterait ses séquences, mais dernière décision de Marker.
Question (à la (illisible) Filmer la protestation → responsabilité sur Maison Blanche en la coupant de la société ?
Réponse : non. Pas si subtil → société démantibulée
Klein : peuple américain = victime
Ceux qui ont bombardé Hanoi ne savent pas ce qu’ils disent.
Question : texte Resnais = monologue réel ou texte ?
Resnais : succession plan de plusieurs metteurs en scène. Voulu au départ. Texte servant à entrelarder le film = souris qui tourne en rond comme beaucoup d’entre nous.
Question : part de chaque réalisateur résumée
Lelouch : allé au Vietnam pour « Vivre pour vivre ».
(Illisible) refuse d’intégrer acteurs dans un endroit où on meurt
→ actualité.
Vu des choses qui n’apparaissent pas dans le film : gens qui font la queue comme à un entraînement, on n’entend pas la guerre.
Pas pu filmer assez longtemps.
Peuple vietnamien = sacrifié
Question (Candide) : (illisible) cas de conscience.
Réponse = obligatoire dénoncer. Si américains gagnent → (illisible)
Question Version arabe-espagnole
Question ne s’est pas posée
Question : suite action ? Autre méthode de lutte ?
Klein = solidarité des techniciens du cinéma français.
Trop de gens.
Film fini → on recommencera.
Question : Jusqu’à quand va-t-on cacher la joie de se battre, de mourir du peuple vietnamien ? Grand peuple cause juste (Ivens)
Question : comment réagir contre l’hégémonie américaine ? Discours de Phnom-Penh
Godard : cinéaste travaillant en France → État adversaire (idem américain)
Se rapprocher réalité française en tant que cinéaste.
Discours (ou déjouer – illisible) = adversaires
Question à Resnais : plans = question du héros
« 40 millions de Français » = anticolonialisme
Resnais : question importante. Américains = loin. Guerre d’Algérie = pas de film.
Question à Resnais : guerre partout. On ne dit rien. Action du cinéaste ? Est-ce la même guerre ?
Resnais : lutte contre la paralysie. Guerre = indispensable à certains types de société.
Question : Film = rassemblement des cinéastes français engagés
À suivre
VÉCU – ARGENT
Dépensé aujourd’hui :
5,50 fr Pellicules développement photos Jo et Martine
2,30 Timbre
1,50 Téléphone
1,00 Frite Jo
2,00 Croque-monsieur
1,00 Cinémathèque
11,20
2 bouteilles de bière
3 paquets cigarettes gauloises
12/12/1967
ÉCRITURE – IDÉE SCÉNARISTIQUE – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE
Idée ← Jocelyne
Superposition d’un personnage vu à travers une vitre et le reflet d’un autre personnage sur cette vitre : mêmes couleurs – mêmes vêtements – même corpulence
→ certains éléments s’associent (chapeau, pipe, parapluie) et l’observateur croit voir un personnage formé par la réunion des 2 (valable si personnage à l’arrêt) (Hitchcock)
DESSIN
I
ÉCRITURE
Chacun son tour d’avoir toujours tort… (2014 : from Internet : pas fait)
15/12/1967
ÉCRITURE
Hier, avec Jo : dialogue :
– …gris comme les baleines…
– Les baleines sont bleues…
– Mais non. Les baleines sont grises…
– Non, les baleines sont bleues. Tous les jours il y a des baleines qui passent dans le ciel et tu ne les vois pas…
ÉCRITURE
J’attends, j’attends impatiemment
Une voiture chargée d’instruments…
16/12/1967
ÉCRITURE – POÉSIE
J’ai des souvenirs de Bretagne
J’ai des souvenirs de bonheurs
J’ai des souvenirs de montagnes
J’ai des souvenirs de fleurs
J’ai des souvenirs de Bretagne
Quand j’étais un travailleur
J’ai des souvenirs de Bretagne
Quand j’étais un débardeur
J’ai des souvenirs de visages
Vus à travers la sueur
Commentaire du 1er avril 2016 :
J’avais fait, en 1964, je crois, un boulot d’été de livreur dans les épiceries et débit de boissons des petits villages du Morbihan : c’est ce que j’évoquais dans ce poème
– Commentaire écrit à 69 ans
22/12/1967
VÉCU – IDHEC
Grande tristesse aujourd’hui. Pourquoi ? Sans doute parce que j’ai acquis un premier élément de l’édifice que je m’acharne à construire. Alors : déception de l’enfant qui a eu son jouet ? Ou bien angoisse devant ce qu’il me faudra faire après avoir vu ce que les autres ont fait. Leur travail : bon. Mais il me nie, il me détruit. Plus c’est bon, plus ça me paralyse. Je ne me sens pas le centre de ça. Je suis décentré…
31/12/1967
VÉCU – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE
Noté sur mon carnet par Jocelyne :
Un jour, nous fêterons cet événement tous les deux en montagne ! Na !
1968
01/01/1968
ÉCRITURE
Reprenant une forme souvent usitée : bonne femme de dos, à sa toilette. En face d’elle : une glace…
Quelqu’un entre. Elle se tourne pour regarder l’homme et lui parler (elle est donc de 3/4 à ce moment-là) L’homme apparaît dans le miroir. En général, à ce moment-là, on coupe et on cadre le type seul, pour bien montrer de qui il s’agit. Je pense qu’on pourrait voir apparaître le type en chair et en os, par exemple : à gauche du cadre.
La bonne femme lui parlant et aussi son double dans le miroir, la femme lui tournant le dos et on verrait le double sortir du miroir et venir derrière la femme. Elle se trouverait entre le type et son double.
02/01/1968
IDÉE POUR CINÉMA OU ÉCRITURE
(Film)
Histoire d’un jeune gars (23 – 24 ans) qui est engagé par un magasin qui vend des appareils ménagers. Il a du bagout, il est culotté, il espère progresser et devenir peut-être un jour chef de rayon ou quelque chose dans le même genre. Et, un jour, par hasard, entre dans le magasin une fille du même âge, avec qui il était sorti, plus jeune, et qui est maintenant mariée et vient acheter une machine à laver avec son mari (un dessinateur industriel, par exemple)
Leur relation nouvelle de vendeur à acheteuse. Le bagout du gars qui fait l’article aux deux époux. Une relation ancienne là-dessous. Ils parlent un peu d’eux-mêmes. Elle attend un enfant ou en a déjà un (qui est chez sa grand-mère) Lui s’est rangé, il espère prospérer dans le commerce. (Peut-être à la faveur d’un départ, motivé par une raison quelconque, du mari, parlent-ils de leurs amours passées et c’est là qu’on apprend leur relation ancienne) De toute façon, ils se séparent. Rien ne s’est passé. La « vie ordinaire » continue mais peut-être quelque chose s’y est infiltré ?
07/01/1968
VÉCU – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE
Noté sur mon carnet par Jocelyne :
Bientôt, quand tu arriveras à cette page, tu liras que je t’aime (1 h : Langoelan. Assise dans un fauteuil)
12/01/1968
(0h 35)
2 idées
ÉCRITURE – IDÉE SCÉNARISTIQUE
– Filmant jazzmen : le piano : touches à l’intérieur de l’instrument, frappant les cordes – Vibrations – Résonances. La batterie : un graphisme dessinant la courbe de réaction des peaux…
Commentaire en rouge en travers : « Fantasia »)
IDÉE POUR CINÉMA OU ÉCRITURE
Les objets qu’on laisse : une écharpe, oubliée sur un banc, dans une boîte. Si on se rappelle, on revient tout de suite la chercher. Le monde n’a pas bougé de place, pas changé.
Si le temps passe, on oublie, on revient : elle n’est plus là. Le monde s’est modifié.
Pourquoi ? Par quoi ? L’imagination des possibles…
Qui l’a prise ? Quelqu’un est-il venu ?
Et si c’est un lieu désert où on pensait que personne jamais ne s’aventurait ?
Le mystère. L’objet vivant ?
La présence humaine par l’absence de l’objet. Présence faite d’absence…
Commentaire en rouge en travers : « Robbe-Grillet »
17/01/1968
ÉCRITURE
La Seine est haute ce matin
Ou cette nuit, je n’en sais rien…
Que faut-il dire ? Il est deux heures
Ou trois, je ne sais plus très bien…
26/01/1968
VÉCU – MUSIQUE – JAZZ
Ce soir : concert à la maison de l’ORTF. Quartette de Jean-Luc Ponty : Humair – Petersen et Bernard Lubat. Très swing. Un public extrêmement enthousiaste. Content de cette soirée. J’aurais regretté de ne pas y aller. Mais j’espère que tu ne t’es pas ennuyée…
ÉCRITURE
« Le Jeu… » cherche…
27/01/1968
CINÉMA – ÉCRITURE – IDÉE SCÉNARISTIQUE – PROJET « LE JEU »
Aujourd’hui j’ai beaucoup réfléchi et ce soir je pense que je ne ferai pas « Le jeu ». Je n’y crois pas. Je crois plutôt à mon vieux projet de film fantastique. Tournage chez Bernard L. ?
COURT MéTRAGE « UNE SECONDE JEUNESSE »
Jo : 20 h 30. La Paillote
→
Travelling avant → portail. Vieille avec baquet d’eau → cuisine. Elle frotte ses mains contre son tablier. → Le vieux rentre avec son chien crotté. Elle fout le chien dehors. Il s’assoit et bourre sa pipe près du feu. Elle s’assoit avec son tricot. Le médecin arrive (pas mauvais. Même bon) (pas obligé médecin). « Pourquoi vous vivez comme ça ? Vous étiez si bien quand jeunes… » Le vieux hausse les épaules. « Pourquoi couchez dans cette chambre ? » → Chambre bleue – La vieille : « Pour le fils ». Verre de vin. Il part. Le vieux reste dans fauteuil. Elle change les objets de place. Une femme apporte le lait et s’en va. Vieille → pot de lait → cuisine. Repas : pas un mot. Nez dans l’assiette.
Le vieux sort dans le jardin. Il s’assied sur une pierre → vue sur clocher église → nuit. Ils sont couchés → Matin. Le vieux part dans un chemin. Il ramasse un oiseau mort dans sa musette. Il dit à son chien : « Tu vois, celui-là, on va en faire quelque chose de bon. On va lui faire de beaux petits yeux, vivant, une belle expression… »
Elle quitte la salle et monte dans la même chambre. Elle s’assied sur le lit, sort des photos de son fils, caresse l’édredon, va à l’armoire, l’ouvre, la referme, regarde toute la pièce, puis petit cheval en bois délabré : « Quand il reviendra, trop grand » → grenier.
Vieux range le cheval dans une caisse → oiseau sort. Plein d’oiseaux morts et un qui bat de l’aile. Elle recule et tombe dans l’escalier
→ Enterrement. Tout de suite la nuit. Le vieux part au cimetière, déterre le cercueil, enlève sa femme, la porte dans ses bras, la ramène.
Il l’installe dans un grenier avec animaux, fleurs dans la bouche, part se coucher. Dans la salle à manger, sur fauteuil : femme jeune, en robe blanche ! Lui tend les bras → il avance → elle est près de la porte → elle éclate de rire (épouvantable) → elle sort. Il prend sa canne à deux mains, ferme toutes les portes à clé → se pelotonne dans le fauteuil.
Point du jour : il monte. La vieille est là. Le soir, il mange. Il va dans la cuisine : sur le siège en face : la jeune fille est assise.
Ce sont des gosses qui lui apportent les animaux
Il tue les animaux pour les empailler.
Il faut en faire une ménagère
Construction :
1/ Séquence avec fournisseur d’animaux → maison. Tous les animaux. Il le tue.
2/ Séquence de la nuit de noces → frayeur de la jeune femme
3/(interrompu)
Il ne faut pas qu’il tue les animaux pour les empailler car alors il n’aurait pas eu d’animal la nuit de noces, l’ayant déjà tué. La frayeur de la femme devant être alors plus récente (par exemple : ← spectacle d’une exécution d’animal). On arriverait à des scènes nouvelles et décentrées.
→ Il faut que ce soit un tendre. Il aime les animaux (dès jeune homme) → le soir des noces → surprise → frayeur de la jeune femme.
→ Depuis, elle hait les animaux, mais lui a continué à les aimer. Les animaux qu’il empaille, il veut ainsi les garder vivants (par exemple : des animaux qui ont été longtemps ses compagnons).
Construction possible :
1/ Nuit de noces. La jeune fille arrive devant le lit (feu qui brûle). Elle sourit. Ouvre le lit d’un geste large → cri d’horreur : araignée courant sur le drap blanc. GP sur l’araignée. Une main d’homme entre dans le champ, la prend. L’araignée court sur sa main. Visage de la jeune fille, horrifiée + rire d’homme ?
Fondu → générique
2/ Le même homme, vieux, dans la campagne. Il ramasse un oiseau mort. Son chien saute (dialogue avec chien ?)
3/ Il rentre. Son coin à animaux (interrompu
Chien
Chat
Lapin
Chouette
Hibou
Petits oiseaux
Écureuil
Chauve-souris
Autre
Location pour cinq jours
Deyrolle LIT 81 93 – BAB 30 07
Boubée MED 00 30
valeurs pièces déposées
10 % par semaine
Chat 495 Fr.
Chien 650 Fr.
Lapin 140 Fr.
Chouette Hibou 90 Fr.
Petits oiseaux 50 Fr.
Écureuil 70 Fr.
Chauve-souris 45 Fr.
Notes à ne pas saisir
03/02/1968
CINÉMA – SUCCÈS
Si le jugement que le public porte sur les gens célèbres n’a pas d’importance, c’est que n’importe qui peut le porter…
06/02/1968
ÉCRITURE – IDÉE SCÉNARISTIQUE
Sortie d’un hôtel ultra-chic : un monsieur riche et bourgeois, bien vêtu, sort un mouchoir de sa poche : une pièce tombe et roule à terre dans la boue.
C’est une pièce de 10 centimes.
Le monsieur tient à récupérer sa pièce mais ne veut pas se salir. Il appelle un groom qui arrive, empressé.
– Cinq cent francs pour vous si vous ramassez cette pièce….
Le groom se précipite, ramasse la pièce, la ramène au Monsieur qui la prend et, très rapidement, laisse tomber :
– Merci, mon ami… Et, se retournant vers sa femme qui sort de l’hôtel en robe du soir :
– Ma chère, prenez place, nous allons être en retard…!
07/02/1968
VÉCU – PHYSIQUE – RÉFLEXION
« Carnet, mon vieux carnet » : pourquoi ce besoin de donner une vie, une existence à un objet inanimé, simple reposoir de mes idées (de mon langage ?) Est-ce même un objet ? Qu’est-ce qu’un objet ? Pourquoi dire : « Le carnet » plutôt que « l’assemblage de quelques dizaines de feuilles de papier reliées par une spirale en métal… » (etc. ?) Les lois physiques ? Mais, l’autre jour (station Concorde ?), j’ai senti cette autre vérité physique : que la matière qui s’offre à notre regard, à notre toucher, à l’appréhension de nos sens, est formée d’atomes et qu’à l’échelon microscopique, il existe entre ces atomes et entre les particules qui constituent ces atomes, un vide immense, sidéral et pourtant les atomes du sol refusaient de s’interpénétrer avec ceux de la pointe métallique de mon parapluie, que pourtant je pressais et raclais contre les premiers…
En entendant ces bruits de raclements, mon parapluie qui tressautait sur le sol, je suis descendu à l’échelle microscopique et j’ai ressenti cela comme une série d’explosions, de détonations : je sentais qu’il y avait une loi, une structure physique qui interdisait cette interpénétration des particules et que c’était cette structure, cette relation des particules les unes aux autres, qui constituait la matière : cette relation de structures s’excluant l’une l’autre. C’était cela la matière, une structure, une organisation que je pouvais imaginer, mais non concevoir et sans cette relation, la matière explosait, se désintégrait bien plus complètement qu’elle ne le faisait lorsque je pressais mon parapluie. En continuant à le presser en augmentant mon effort, j’arriverais à désintégrer la matière (interrompu)
20/02/1968
IDÉE POUR CINÉMA OU ÉCRITURE
Un type, très riche – l’homme moderne (mais faut-il situer cela au temps présent ?) ne supporte pas que les objets dont il s’entoure subissent la plus petite détérioration.
Alors il les remplace, très souvent, dès le premier choc ou la première éraflure. Mais il ne jette rien (âpreté ?)
Tout est conservé, classé par catégorie d’objets.
Dans un lieu (= grenier de la grand-mère) il y a 15 montres-bracelets, 11 porte-documents, 26 pipes, 66 paires de souliers, des pantalons, des pardessus, des réveille-matin, des bibelots, toutes sortes d’objets qui composent un cadre quotidien. → ses enfants s’aventurent un jour dans ce grenier de vieilleries neuves… Ils découvrent avec un délice de fils de consommateur, consommateurs en herbe eux-mêmes, des objets presque intacts, superbes, rutilants.
Mais bientôt, à leur tour, ils découvrent la minuscule tache, l’infime égratignure qui déprécie l’objet et ils le rejettent, déçus d’aller d’objet en objet et de n’en trouver aucun qui ressemble à ceux des vitrines…