Minuit 20.Couché. Rentré Paris
– Note écrite à 19 ans
Mes moments de dépression
Immense solitude
Je suis désormais certain que je suis malade. Ça devient intenable. Je souffre trop, je perds les pédales. Je suis terriblement seul. J’ai de plus en plus besoin du médecin. J’ai l’impression que je n’arriverai jamais à m’en sortir seul cette fois-ci…
Impression de bientôt toucher le fond
Ça empire de jour en jour.
Elle ne sait pas cela. Doit-elle le savoir ?
Elle…
– Note écrite à 19 ans
Je me sens humilié.
– Note écrite à 19 ans.
J’aimerais que ce carnet ne serve qu’à noter des idées, des projets. Mais je crains qu’il ne doive être aussi un exutoire…
– Note écrite à 19 ans.
Je n’ai raison que pour des choses qui me font mal…
Michel projetait des films super 8 de vacances. « T’as pas un film où je suis ? » ai-je demandé niaisement.
Il m’a passé un film fait chez lui, au Coudreaux, et j’ai revu Agnès. À trois ans environ. Pris ça dans la gueule. Un grand coup de cafard. Ça a réveillé en moi des tas de choses.
D’abord : sa pensée. Je m’aperçois ce soir combien elle me manque. Combien plus que je ne crois.
Le choc, en la revoyant petite. Le choc de me rendre compte que j’avais oublié son visage de cette époque. Tous les visages de son enfance. Pourtant pas si loin.
Le remord. La culpabilité d’avoir laissé le temps passer, implacable, irréversible, et de ne pas m’être assez occupé d’elle, de n’avoir pas suivi mieux son évolution, le changement de son visage, de son être.
Affreusement coupable ce soir. À en pleurer. Et puis : moi, dans le coup. Si je ne m’en souviens pas, c’est que je n’ai pas vécu cette enfance d’Agnès assez intensément. L’intense marque. Et pas intense parce que je n’étais pas heureux. N’est-ce pas une théorie ? Je ne crois pas.
Ce temps qui ne reviendra pas. Ces bouts de pellicule, seule trace de ce temps. Déchirant.
Son visage… Ce visage grave, ces grands yeux qui fixaient la caméra. En voyant cette gravité, en connaissant son fond de gravité, je me prends à douter qu’elle encaisse bien mon départ. Et J’ai affreusement peur.
Je mesure, ce soir, mon égoïsme.
Ma fille, mon enfant, ce soir je pense à toi je pleure..
– Note écrite à 31 ans
Flip. Et puis, en travaillant, c’est passé !
Mais ça me fait penser à Agnès disant : « Je n’y pense plus ! »
Agnès, ma petite enfant !
Quand je pense qu’il a suffi, l’autre jour, que je sois en retard (suite malentendu) et que sa mère se mette en colère et la voilà en larmes !
« Je n’y pense plus, mais je reste fragile… ! »
Malédiction sur moi !
Je suis toujours au bord des larmes.
Et cette blessure déçoit Mathilde et lui pèse !
-Note écrite à 39 ans
Hier, Agnès et moi sommes allé voir « L’étrangère » de Zelda Baron…
Très beau film, comédiennes remarquables, mise en scène sobre, mais souple. Bref, c’était si bien que je me suis senti tout petit, incapable de tant de talent et, en sortant, dans la rue, me suis mis à pleurer dans un coin de porte.
Agnès l’a mal pris.
Elle m’a fait la gueule pendant tout le chemin du retour…
Je n’ai rien dit. Je te comprenais, Agnès :
Tu m’idéalises et tu es furieuse de voir ton idéal montrer de la faiblesse.
Furieuse parce qu’angoissée à ce spectacle…
Et puis, sûrement, tu penses que ces larmes n’étaient pas justifiées, car tu crois en ma valeur…
Je ne sais pas si tu liras ces lignes, mais sache que j’ai compris tout cela.
Je pense seulement qu’avec le temps, tu me comprendras…
Mais surtout : si jamais tu venais à t’en vouloir de ta bouderie, je tiens ce que tu ne te la reproches pas… ! Après tout, c’est une réaction pleine de santé.
Tu as raison de désapprouver mon défaitisme…
Raison dans l’absolu, mais en pratique : on craque parfois – même les pères – cela tu le constateras par toi-même et tu découvriras que c’est humain…
– Note écrite à 40 ans
Agnès s’éloignant de la voiture sans un mot, c’est pour moi quelque chose de très pénible à vivre.
Et je me suis pris à désirer qu’elle me téléphone « pour parler », comme je le désirais pour Colette, comme je l’attendais…
– Note écrite à 40 ans
(12h40 – parking CES Diderot, Tourlaville)
Tout à l’heure, vers midi, appelé le CNC : « Ça été négatif » m’a répondu la voix
Retour à la désespérance.
(Cour du collège)
Le plus dur maintenant est de rester digne et d’assurer mes devoirs envers les autres alors que je n’ai qu’une envie, c’est d’être seul…
Non. J’ai tout de même la pulsion – dérisoire et inutile – de prendre d’autres (?) à témoin de ce que je ressens comme une injustice majeure…
(18h20 – snack-bar sur autoroute, retour à Paris)
Difficile d’écrire tout ce que j’ai ressenti, successivement depuis cette fatale minute où j’ai su…
Cet après-midi : repérage cidre dans ferme avec un brave monsieur (Dugardin), normand aux beaux yeux bleus qui comprenait bien que j’aie à « me renseigner » sur les choses… !
Puis retour et, à Bayeux, soudainement, une fois de plus, la pensée d’Agnès m’a submergé. Il a fallu que je murmure son nom, en pleurant : « Gnouchy, Agnès, fifille »… interminablement…
Puis autoroute et, peu à peu, la combativité m’est revenue.
1/ Voir Bourboulon, le chiffrer en 16mm. Voir si faisable avec achat droit commande : brancher Jean-Jacques Bernard
2/ Si ça non plus ne marche pas, le faire en vidéo.
Tout ça cogne, blesse, mais ne tue pas !
Irréductible bonheur de vivre !
C’est vrai que je vis, que je ne suis pas mort et que c’est énorme.
Mais il est vrai aussi que ma vie se réduit par rapport à mes espérances à la plus stricte expression…
Pas de satisfaction dans la séduction.
Difficultés d’argent, de survie professionnelle.
Pas de satisfaction dans la création… !
– Note écrite à 40 ans