Faut-il continuer à risquer des colères comme celle-là

Je transcris (du 27/12/1976 nuit)

En nous couchant – agressivité emmagasinée en moi par petites conneries avec belle-mère – ← Note écrite dans mon carnet par Jocelyne : « Oui, mais définis-la. » Je parle à Jocelyne du problème du voyage au Luc. Elle ne me répond pas et tourne le dos. Je la prends violemment par les cheveux pour l’obliger à me faire face, hors de moi. Agnès, couchée à côté, en larmes. Après cette crise, la petite s’endort. « Nous » (je) parlons. Il en ressort qu’elle se demande si je suis paranoïaque ! Dois-je oublier de noter ça ? J’ai si mauvaise mémoire ! (Autre chose à noter : ces dix jours « sans », elle les qualifie de mascarade. ← « sans » signifiait sans masturbation. Je me culpabilisais de me masturber et avais entrepris de « me mettre au régime » de la masturbation (Commentaire écrit le 06/06/2015). Je n’oublierai pas, non plus, de noter que j’ai sangloté, revoyant Agnès en larmes, alors que j’avais prise pour la mettre de son lit dans le « nôtre », nous enlacer tous les deux pour nous dire : « Je vous aime tous les deux, mais je ne vous aime pas quand vous « faitez » la colère… » Faut-il continuer à risquer des colères comme celle-là ou bien divorcer ? Peut-il y avoir cette communication dont je rêve, cette complicité ? Suis-je vraiment paranoïaque et est-ce moi qui l’empêche ? Le problème des familles, vieux boulet, est au centre. Si je suis là pour cette rituelle mascarade de Noël, pourquoi pas à la mascarade du Nouvel An auprès de ma famille ? Pourquoi une injustice ? Ou alors Jocelyne aurait pu être ma complice dans le crime de lèse-famille. Mais son triangle de fille unique la satisfait tant !

– Note écrite à 30 ans

CINÉMA – IDÉE SCÉNARISTIQUE – VÉCU – AGNÈS

Pensé ce soir, en lisant interview Wiseman parlant de ses films de reportages sur entraînement militaire, que les gens qu’on filme ne se rendent pas compte quand on est « contre » eux et l’infléchissement que l’on peut donner à l’image qu’on transmet d’eux.
Imaginer quelqu’un qui le saurait (flic – facho ?) et qui accepterait tout de même qu’on le filme en se basant sur le fait qu’on est obligé de respecter la règle qui consiste à ne pas déformer et qui a confiance en son message. Ça me paraît dingue, cette idée là.

1977.03.15Par-dessus ces notes : dessin d’Agnès (4 ans 1/2)

– Note écrite à 30 ans

VÉCU – PRISON – AMIS – CORRESPONDANCE – AGNÈS

André a répondu il y a quelques jours à ma première lettre. Sa lettre a mis du temps à me parvenir car, comme je n’avais pas mis mon adresse, elle est passée par Lionel Erhart. D’ailleurs j’ai honte d’avoir eu ce réflexe idiot – car je ne crois pas qu’on soit fiché parce qu’on écrit à un déserteur. Je vais lui indiquer l’adresse dans ma prochaine lettre.
C’est drôle d’écrire à quelqu’un qu’on ne connaît pas : nous n’avons, pour l’instant, en commun que sa souffrance. Il est très jeune, sa lettre le prouve. C’est d’autant plus terrible : j’ai l’impression que c’est un enfant qu’ils ont mis en prison.
Il parle de son « univers carcéral ». Je pense aux types qui sont chargés – et qui l’acceptent, pour de l’argent – d’en empêcher un autre de franchir une porte. Qui le surveillent, qui limitent ses déplacements, ses gestes, qui réduisent sa vie un squelette, un fantôme de vie, à la survie. Une survie végétative où l’être entier en prend un coup.
Je repense à ce que j’ai, moi, souffert d’être seulement limité comme je l’ai été à l’armée où je n’étais pas complètement enfermé, comme il l’est, lui. J’arrive difficilement, (…)

Dessin d’Agnès (5 ans 1/2) à cet endroit de la page:

1977.05.04Dessin d’Agnès

Agnès a fait ce dessin avant que je n’écrive sur cette page car j’ai continué à écrire la suite de mon texte en contournant son dessin !

(…) mais je crois que j’y arrive, à imaginer ce que ça peut être un jour plus un autre et un autre, une semaine, des mois en prison. Il parle d’idées suicidaires. Elles doivent venir au bout d’un certain temps, d’un certain désespoir.
Enfant, pauvre enfant, mon pauvre frère. Plein d’idéal. Il a des mots, des formules qui feraient sourire s’il était libre. Quand on est libre, on est surtout libre de dire des conneries. Quand on n’est plus libre et qu’on continue à les dire et à y croire, ça n’est plus des conneries.
Quand je pense qu’on enferme des hommes parce qu’ils refusent d’en tuer d’autres ! S’il avait connu d’autres petits malins, joué les dingues, on l’aurait réformé, il n’en serait pas là.

– Note écrite à 30 ans

VÉCU – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE – AGNÈS

Je suis aujourd’hui (jour gris, plafond bas) dans un état propre être appelé désespoir.
Je me méprise. J’ai honte de moi. Par rapport à elle et aussi par rapport à Agnès. Ce qui est insupportable, c’est de penser qu’Agnès même parce qu’elle ignore tout de moi. Elle a de moi l’image qu’un enfant innocente se faire de son père. J’ai, dans mes rapports avec elle, un insupportable avantage, immense bénéfice non du doute mais de l’ignorance. Je pense à plus tard : quand elle aura grandi. Ou bien elle saura (oh ! La honte) et alors… ou bien elle ne sera pas et j’aurais alors cette même brûlure de honte à penser que je cache quelque chose. Elle aura l’âge de me mépriser elle aussi. Si je pouvais, pour elle par rapport à elle, me purifier, sortir de cette ornière de secret, de vénalité, de mépris, d’insincérité, de compromission ? Je suis coupé, cassé en deux. Je me contredis moi-même et cette paix que je désire tant s’éloigne toujours plus.

– Note écrite à 30 ans

Écrit dans mon carnet par Jocelyne : « Tout ça, c’est con. C’est moi qui en ai fait un problème. Il n’y avait pas de quoi, mon Dieu. Tolérance. »

Commentaire du 19/06/2015 : ma grande honte, c’était que je me masturbais. Ça n’en est plus une aujourd’hui, car j’ai compris depuis longtemps que c’est simplement un plaisir dont refuse de se priver ma nature sensuelle, tandis que, dans ma jeunesse, je subissais la pression de la morale sociale et traditionnelle et de ma famille, de confession catholique.

– Commentaire écrit à 68 ans

VÉCU – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE – AGNÈS

Avant-hier samedi, je rentre de tournage à 15 heures. Je trouve Jocelyne qui dort. Agnès me dit qu’elle n’a pas mangé. Colère. Je lui mets de l’eau sur la figure. N’arrivant pas à la réveiller, je la tire du lit, la traîne jusqu’à la douche et l’asperge de flotte. Trempée, elle part se recoucher.
C’est dire à quel point ça va mal.
Par moment – souvent  – je me rappelle à moi-même que c’est moi qui l’ai démolie. Mais, à côté de ça, il y en elle tant de mauvaise foi, Commentaire de Jocelyne : « Et toi ? » Le même piétinement en rond que je ne peux m’empêcher de penser, malgré Agnès, que la seule solution est d’en finir une bonne fois.
Ce soir, je vérifie en le lui demandant qu’elle a dormi à cause de sa nostalgie en écoutant Anne Sylvestre. Elle me sort dans la discussion cette énormité : si elle n’est pas – c’est elle qui le dit – une bonne mère, c’est de ma faute ! Parce que je suis parti ! Je suis si indigné qu’il faut que je note ça.

– Note écrite à 30 ans

VÉCU – AGNÈS

Vacances 77 : je suis à Lorient pour récupérer Agnès qui a passé quinze jours chez les parents de Jocelyne, pour la ramener à Paris où elle prendra l’avion pour aller passer dix jours au Luc. Puis un mois de vacances à trois en balade.
Cet après-midi : plage seul avec Agnès. Moment de joie. Notre relation est chouette. Agnès est chouette (cerf-volant : elle a voulu le tenir. Elle désirait qu’il l’entraîne et qu’elle s’envole avec…)

– Note écrite à 30 ans

VÉCU – AGNÈS

Agnès. Je vais te noter. Il n’est pas trop tard (noter : faire des notes. De la musique. Ta musique).
Un poignant regret me saisit souvent de n’avoir pas gardé plus de trace de ton évolution.
Cet après-midi : tout d’un coup : « J’ai envie de faire pipi ». Et tu es partie, la culotte déjà baissée pour aller faire pipi.
Hier soir : télé. Émission pour l’Unicef. Tu m’as demandé : « Des fois, ils disent : « Agissez ». Qu’est-ce que ça veut dire « Agissez » ? Le sort des enfants dénutris t’a causé du chagrin.

– Note écrite à 31 ans