Carnet 3

ATTENTION PAS DE CARNET 2

 

Carnet 3 – Du 1er juillet 1963 au 11 juin 1965

 

01/07/1963

 

CITATION – CINÉMA

 

(Robert Bresson) « J’essaye de plus en plus, dans mes films, de supprimer l’intrigue. » 

 


 « Mon dernier film, « Un condamné à mort s’est échappé », m’avait orienté vers les mains. L’extraordinaire habileté des mains, leur intelligence (…) l’âme d’un pickpocket, la main d’un pickpocket… Il y a du merveilleux dans le vol à la tire. »

 

CITATION – CINÉMA

 

(Alexandre Astruc) « Si on analysait plan par plan les films de Renoir, on s’apercevrait par exemple que tout son découpage est fait dans le sens de la profondeur »

 

02/07/1963

 

CITATION – CINÉMA

 

(Georges Franju) « Un immeuble (…) peut devenir très insolite et très artificiel Si on évite l’épaisseur. Les maisons incendiées sont très belles. (…) Le rôle du décor a toujours été le même dans tous mes films. C’est un rôle avant tout poétique. Il est la « découverte » sur l’évasion. Sur le rêve. »

 

03/07/1963

 

CITATION – CINÉMA

 

 (André Bazin) « Ce qu’il faut, pour la plénitude esthétique de l’entreprise, c’est que nous puissions « croire » à la réalité des événements en les sachant « truqués. »

 

LIRE :

 

Lire de Bioy Casares : « L’invention de Morel »

 

CITATION – CINÉMA – RESNAIS

 

 (Alain Resnais) « Je pense qu’on peut arriver à un cinéma sans personnages psychologiquement définis, ou le jeu des sentiments circulerait comme, dans une toile contemporaine, le jeu des formes arrive à être plus fort que l’anecdote. »

 

04/07/1963

 

LIRE – CINÉMA :

 

Lire « Qu’est-ce que le cinéma ? » (Bazin)

 

CITATION – CINÉMA

 

 

(Éric Rohmer) « Ce n’est pas seulement l’intérieur de chacun des plans que le réalisateur doit déterminer en fonction d’une certaine conception de la spatialité mais la totalité de l’espace filmé (…) »

 

05/07/1963

 

CITATION – CINÉMA

 

 (Bresson) « Le problème de la couleur n’est pas un problème de couleur. Peu importe que la couleur soit bonne ou mauvaise. On peut toujours tirer un bon parti d’un mauvais outil à condition qu’on sache qu’il est mauvais. Non, le problème n’est pas là. Il est dans une vertu dispersive, distractive de la couleur qui condamne à mes yeux, pour le moment, son emploi dans le drame et la tragédie. »

 

06/07/1963

 

CITATION – CINÉMA

 

 « Ce visuel avait tellement de compositions en tête qu’il ne commençait pas par en tracer les grandes lignes ; il débutait par un coin de la feuille (…) » (Georges Sadoul « Méliès »)

 

07/07/1963

 

CITATION – CINÉMA – RESNAIS

 

Hiroshima (Positif) « Il y a là plus que du cynisme, même plus que du désespoir : une sorte de lucidité monstrueusement adulte, comparable à celle de l’homme qui sait qu’il va mourir un jour… »(Tailleur)

 

(souligné)

 

08/07/1963

 

CITATION – CINÉMA – RESNAIS

 

 « Cette lucidité (…) presque surhumaine tant elle comprend les aspects contradictoires contenus dans toute réalité fait d’Hiroshima mon amour un film dialectique. »(Michèle Firk)

 

09/07/1963

 

VÉCU – CINÉMA

 

jeudi 5 : 18 h 30 Man of Aran —– vendredi 6 : 18 h 30 Dada, Surréalisme et cinéma pur —– samedi 7 : 22 h 30 Yang Kweï Feï —– dimanche 8 : 15 h Tempête sur l’Asie 22 h 30 Le roman d’un tricheur —– mardi 10 : 20 h 30 La ronde 22 h 30 Amore —– jeudi 12 : 22 h 30 Mystère Picasso —– vendredi 13 : 18 h 30 Les anges du péché —– samedi 14 : 20 h 30 Histoires extraordinaires 22 h 30 Shors (?)

 

10/07/1963

 

RÉFLEXION – CINÉMA

 

Certains plans de « L’homme d’Aran » (la femme et l’enfant à l’intérieur, le feu allumé) m’ont fait penser à des tableaux qui eussent été peints par Georges de La Tour et Vermeer à la fois.

 

11/07/1963

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Là vivait un vavasseur nommé Dyonas, qui était filleul de Diane, la déesse des bois. 

 


 (La table ronde. Transcription de Jacques Boulenger. Merlin l’enchanteur. Tome 1

 


Dans un cycle d’inspiration chrétienne voici qu’apparaît la mythologie païenne, voilà qui est pour le moins étonnant… 

 


Le dit vavasseur est le père de Viviane qui recevra la science de Merlin : il semble que la mythologie n’est évoquée qu’en rapport avec les pratiques magiques. Rapports situés précisément dans le recours que fait la mythologie à des emblèmes comme le soleil, la lune ou les astres qui sont aussi ceux de la magie.

 

12/07/1963

 

LIRE – SCIENCE-FICTION :

 

« L’Univers en folie » (Brown), « 9 de pique » (John Amila), « Le monde des A », « Le rayon fantastique », « La faune de l’espace », « À la poursuite des Slan » (Van Vogt),Abernathy, « Cailloux dans le ciel » « Fondation » (Isaac Asimov),»L’homme démoli » (Alfred Bester), « Fictions » «Labyrinthes » «Enquêtes » (J. L. Borges), « Chroniques martiennes » « Farenheit 451 » « Les pommes d’or du soleil » « Pays d’octobre » (Ray Bradbury), « Martiens go home »  « Une étoile m’a dit » (Frédéric Brown),(Philip K. Dick), « La naissance des dieux » (Charles Henneberg), « La couleur tombée du ciel »  « Dans l’abîme du temps »  « Par-delà le mur du sommeil »  « Démons et merveilles » (Lovecraft),(J. T. Macintosh), « Je suis une légende »  « L’homme qui rétrécit » (Richard Matheson), « L’homme venu du futur » (Lewis Padget),(Arthur Porges), « Le délit »  « La géométrie dans l’impossible »  « La sortie est au fond de l’espace » (Jacques Sternberg), « E=MC² (Pierre Boulle)

 

18/07/1963

 

vécu – CINÉMA – RESNAIS

 

À quelques pas de moi, qui étais immobilisé dans une voiture, au milieu de l’avenue des Champs-Élysées, hier, j’ai vu Alain Resnais ; il m’a paru maigre, sportif, il avait un imperméable marron, une vieille sacoche de cuir, une démarche bizarre, inélégante ; il est monté dans un taxi et je ne l’ai plus revu ; avec le temps, cette apparition me paraît de plus en plus monstrueuse et monstrueux Resnais lui-même

 


Cette vision est une des plus grandes questions que je me sois posé et j’en garde un souvenir assez privilégié.

 

15/08/1963

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « J’aime le peuple et je déteste ses oppresseurs mais ce serait pour moi un supplice de tous les instants que de vivre avec le peuple. » (Stendhal) (Conclusion de mes vacances 63)

 

16/08/1963

 

CITATION – SCIENCE

 

 « L’esprit biologique est patient, nuancé, douteur… » (Jean Rostand)

 

17/08/1963

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent aussi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. » (La Bruyère)

 

18/08/1963

 

ÉCRITURE – VÉCU

 

Revue publiant travaux littéraires de jeunes :  « Gaudeamus » 53 allée Gambetta Le Raincy (Seine et Oise)

 

19/08/1963

 

IDÉE – THÉÂTRE

 

(Projet mise en scène Macbeth)

 

Les sorcières 

 

Costumes : très longs, très rugueux. On doit avoir l’impression qu’elles peuvent à tout instant s’empêtrer dans les pans qui retombent en leur formant une espèce de traîne. 

 

(Le rideau se lève. La lumière est glauque, astrale. Un arbre décharné tend ses branches à contre jour sur la lumière blanchâtre et phosphorescente du ciel. Depuis l’arbre, auxquels ils font ainsi un sinistre feuillage, pendent des écheveaux d’une sorte d’étoupe ressemblant à des cheveux. Au bas de l’arbre un feu de bois en étoile, pas trop vif. La 3ème sorcière, à genoux, en tient une masse pendant en une ligne à peine courbée, depuis une branche inclinée vers le sol, la courbe finissants à ses mains tenues au-dessus du feu, la nappe du reste des cheveux plongeant dans le feu et brûlant de petites flammes qui semblent vouloir remonter vers le haut des écheveaux sans jamais y arriver. Elle est tournée vers le public. De derrière l’arbre sort la 1ère sorcière, qui s’arrête, les yeux dressés vers le ciel : un éclair fulgure rapidement. Pendant l’illumination, vacillante, la 1ère sorcière se retourne, arrache une masse d’écheveaux et, les bras un peu retenus par la masse qu’elle entraîne, le tonnerre éclatant, elle se précipite vers le feu pour s’agenouiller auprès de sa compagne, malaxant les cheveux avec fureur, sa compagne, elle, les faisant brûler avec une malice féroce. La 3ème sorcière la regarde. Le tonnerre s’arrête, la 1ère sorcière est à genoux, aux côtés de l’autre, toutes deux se retournent. La 2ème sorcière est entrée 

– 1ère sorcière : « D’où viens-tu, sœur chérie ? » 

– 2ème sorcière : « De saigner une truie » 

(Elle reste debout. La 1ère sorcière se retourne vers le feu et se met à faire brûler des cheveux) 

– 3ème sorcière : (se tournant vers la 1ère) « Et toi, ma sœur, il semble que tu te plaignes ? » 

– 1ère sorcière : (penchée sur le feu, marmottant avec fureur, récitant sa tirade comme le compte qu’on fait des injures reçues avant la vengeance) 

« La femme d’un marin mastiquait des châtaignes, 

Plein entre les genoux et plein la bouche pleine, 

Mâchonnant, mâchonnant, 

« Eh, donne-m’en » lui dis-je 

« Arrière ! » m’a hurlé cet égout de cuisine. 

Alors comme son mari, 

quartier-maître à bord du « Tigre », 

fait voile vers la Syrie, 

j’embarque sur un tamis, 

je rame vers le navire 

Et sous la forme d’un rat, 

dans la cale et sous la coque, 

je grignote et je grignote, 

il verra ce qu’il verra ! » 

(À ces mots, elle jette violemment une plus grosse masse de cheveux dans les flammes qui s’embrase très haut et très fort, éclairant violemment le faciès démoniaque de la 1ère sorcière) 

(La 3ème, debout, fait le geste de pousser et de jeter une botte de foin mais en plus lent, elle pousse le vent vers la 1ère sorcière) 

– 3ème sorcière : « Prend ce vent, je te le donne. » 

(Avant que la phrase finisse, la 2ème sorcière est debout, son bras s’élève, agrippe une masse invisible et redescend, entraînant la masse) 

– 2ème sorcière : « Moi cet autre. » 

(La 1ère sorcière écarte les bras et les referme sur la main tendue de la 2ème sorcière qu’elle serre) 

– 1ère sorcière : « Que tu es bonne. » 

– 2ème sorcière : « Et les autres ? » 

– 1ère sorcière : (la regardant avec une lueur féroce dans les yeux) 

« Je les tiens 

Il n’est ni vague ni requin 

ni vent dont je ne dispose, 

j’ai le reste de la rose 

et les cartes des marins… 

Qu’il sèche comme le foin, 

le mari de ma commère, 

quatre, quatre et dix semaines, 

pâle, pâle et rabougri 

Que j’épingle jour et nuit 

à l’auvent de sa paupière 

l’enseigne de l’insomnie, 

qu’il pèle comme un prêtre 

sevré de la sacristie 

Que sa barque se fracasse 

ou du moins que la bourrasque 

le cogne contre les mats 

(Le ton est allé crescendo. Elle s’arrête là, brusquement, fouille ses habits, en sort un objet qu’elle montre à la 2ème sorcière) « Regarde ! » 

– 2ème sorcière : « Qu’est-ce que cela ? » (Elle s’accroupit pour voir, non seulement étonnée, mais vaguement réjouie, comme lubrique.) 

– 1ère sorcière 

« D’un marin qui n’est pas mort 

Un autre me réconforte 

C’est le pouce d’un pilote 

noyé dans les eaux du port. 

(Elle rengaine l’objet) 

 

(Tambour…) 

 

– 1ère sorcière : (se redressant) « Macbeth ! » 

– 2ème sorcière : (se redressant) « Macbeth ! » 

– 3ème sorcière : « Il approche ! » 

– Toutes : (elle dansent, la 1ère et la 2ème se tenant plus ou moins, la 3ème seule) 

« Tissons le piège du sort 

sœurs fatales, messagères 

de l’air, de l’eau, de la terre, 

tournons la main dans la main 

tous les tours que fit le monde 

au dernier finit la ronde 

où commence le destin. » 

(Elles regardent toutes vers la droite, la 3ème qui est vers le côté des coulisses où elles regardent, se rapproche des deux autres, tout en regardant vers les coulisses. Elles sont groupées, le feu brûle doucement. Entrent Macbeth et Banquo) 

– Macbeth : (il regarde le ciel, songeur) « Je n’ai jamais vu de jour si horrible et si beau. » 

– Banquo : (un peu éloigné le lui, il inspecte les environs) « À combien sommes-nous de Forrès ? » (apercevant les sorcières, il sursaute, un peu effrayé) « Quelles sont ces créatures, si flétries, si bizarrement accoutrées ? » (Macbeth se retourne) « Elles sont bien sur la terre où nous habitons mais semblent ne pas en être. Êtes-vous seulement vivantes ? Un homme pourra-t-il vous questionner ? (Les sorcières posent un doigt sur leurs lèvres) Vous avez l’air de comprendre puisque chacune à l’instant pose un doigt sec sur ses lèvres calleuses. Vous devez être des femmes et pourtant votre barbe m’empêche le croire. » 

– Macbeth : (irrité) « Parlez si vous pouvez, qu’est-ce que vous êtes ? » 

– 1ère sorcière : (s’inclinant) « Salut Macbeth ! Salut à toi, Glamis ! » 

– 2ème sorcière : (idem) « Salut Macbeth ! Salut à toi, Caudor ! » 

– 3ème sorcière : (idem) « Salut Macbeth, toi qui seras bientôt roi ! » 

(Banquo se tourne vers Macbeth ; celui-ci frissonne et ramène son manteau sur ces épaules) 

– Banquo : « Mon bon seigneur, pourquoi ce frisson ? Vous auriez peur de tout cela, qui sonne si bien ? » (se retournant et les sorcières) « Au nom de la vérité, êtes-vous donc des fantômes ? Existez-vous vraiment comme vous paraissez ? Vous donnez à mon noble compagnon le titre qu’il possède, la promesse d’une autre fortune et l’espoir d’un royaume, il en paraît saisi. À moi vous ne dites rien. Si vous avez le pouvoir de lire les germes du temps et de reconnaître dans les semences celles qui lèveront ou ne lèveront pas, parlez ! Votre faveur ou votre haine ne me fait ni peur ni plaisir » 

– 1ère sorcière : « Salut ! » (On doit bien avoir l’impression qu’elles répondent à Banquo) 

– 2ème sorcière : « Salut ! »

-3ème sorcière : « Salut ! » 

– 1ère sorcière : (1ère nuance : elle répond – 2ème nuance : elle se parle à elle-même, songeuse) « Plus petit que Macbeth et plus grand tout ensemble ! » (elle dit ceci et les trois sorcières reculent en parlant vers l’arbre derrière lequel elles disparaîtront) 

– 2ème sorcière : « Moins heureux et pourtant heureux bien davantage ! » 

– 3ème sorcière : (elle parle, appuyée à l’arbre, avant de fuir) « Père de rois, de rois, et sans l’être toi-même ! Donc salut, Macbeth et Banquo. » 

– Toutes : « Banquo et Macbeth, salut ! » 

– Macbeth : (s’avançant d’un pas et frappant de son poing droit dans sa paume gauche) « Restez là ! » (les sorcières s’immobilisent. Un temps) « Terminez vos discours incomplets ! Par la mort de Sinnel, je sais très bien que je suis Glamis. Mais comment cela, Caudor ? Caudor est vivant, prospère. Et roi ? Ce n’est pas plus imaginable pour moi que d’être Caudor. D’où tenez-vous cette science étrange ? Dites-moi ! Pourquoi, sur cette lande brûlée de foudre, arrêtez-vous notre marche avec vos saluts prophétiques ? Parlez, je vous l’ordonne. » 

(Les sorcières disparaissent, le feu s’éteint) 

– Banquo : « À croire qu’elles sont des bulles sur la terre comme il en existe sur l’eau ! Où ont-elles disparu 

(Il s’avance pour marcher derrière l’arbre. Macbeth se retourne et fait quelques pas) 

– Macbeth : « Dans l’air ; ce qui semblait avoir un corps s’est fondu comme un souffle au vent. » (il s’arrête) « J’aurais tant voulu qu’elles restent ! » 

– Banquo : (il remonte vers lui) « Mais étaient-elles vraiment devant nous ? N’aurions pas mangé de cette racine qui fait de la raison l’esclave de la folie ? » 

– Macbeth : (il se retourne vers lui) « Vos enfants seront rois. » 

– Banquo : « Vous serez roi. » 

– Macbeth : (il continue les paroles de Banquo) « Et Caudor. » (léger arrêt) « C’était bien ainsi ? » 

– Banquo : « Refrain, couplet, mot pour mot. » (il se retourne, sortant son épée) « Qui va là ? » 

(Entrent Ross et Angus) 

– Ross : « Macbeth, le roi a reçu avec bonheur la nouvelle de ta double victoire. Déjà, quand il apprend tes exploits contre les rebelles, il hésite entre la stupeur, qui doit se taire, et la reconnaissance qui voudrait s’exprimer. Et voici que le même jour, quelques heures plus tard, il te retrouve seul parmi les rangs norvégiens, impassible devant tous les spectres de la mort que tu crées toi-même. Les courriers arrivaient tous à la fois, drus et rapides comme un orage de grêle ; et chacun apportait le tribut de sa gloire et le versait aux pieds de ton roi. 

(Ross doit prononcer ces mots sur le ton d’un porte-parole, un peu comme si le décor avait changé et que la scène était dans un palais où les deux envoyés viendraient saluer un grand seigneur. Angus doit renchérir sur le même ton de louanges) 

– Angus : Macbeth, nous t’apportons des remerciements, rien de plus, mais nous allons te conduire en présence de notre maître et là vraiment tu seras payé. » 

– Ross : Mais déjà, comme gage d’un plus grand honneur, il m’ordonne, Macbeth, de te proclamer Caudor. Salut donc, (il s’incline) noble Caudor, car ce nom est le tien.  » Banquo : (à part, tressaillant) « Quoi, le diable aurait dit la vérité ? » 

– Macbeth : Caudor ? Il est vivant… (étonné) Pourquoi m’habillez-vous de vêtements empruntés ? » 

– Angus : (il s’incline très légèrement) Caudor est encore vivant mais un lourd jugement pèse déjà sur sa vie, qu’il a mérité de perdre. Avait-il fait alliance avec ceux de Norvège ? A-t-il soutenu en secret les rebelles ? Ou a-t-il travaillé avec les uns et les autres à la ruine de son pays ? Je l’ignore. Mais le crime de haute trahison, avec l’aveu et toutes les preuves, l’anéantit. » 

– Macbeth : (il se détourne, songeur, et fait quelques pas à l’écart, vers Banquo. À part 🙂 « Glamis et Caudor ! Quels titres ! À quand le dernier, le plus grand ? » 

(À Ross et Angus, se retournant à demi, avec un geste de la main pour donner congé) « Merci de vos peines. » 

(Se retournant vers Banquo, s’arrêtant devant lui et le regardant) « Au fait, vous n’espérez pas que vos enfants seront rois puisque celles qui m’ont appelé Caudor leur ont annoncé le trône ? » 

– Banquo : (appuyant des deux mains sur son épée dans la pointe est sur le sol) « À ce compte, au-delà du titre de Caudor, vous pourriez aspirer en toute confiance à la couronne elle-même. Mais c’est étrange, souvent pour nous conduire à notre perte, les puissances des ténèbres nous disent des vérités ; 

(Macbeth s’éloigne et Banquo lui parle alors qu’il marche et lui présente son dos) 

– « Elles nous offrent pour appât des bagatelles fort innocentes et nous nous enfonçons et nous sommes trahis, » 

(Il se retourne vers Ross et Angus qui regardent Macbeth, avec un léger étonnement. Banquo, se rapprochant un peu d’eux, le regarde aussi et se retourne vers Ross et Angus, chaque fois qu’il leur parle) « Un mot, cousins, je vous prie. » 

– Macbeth : (s’immobilisant, de profil par rapport au public) (à part 🙂 « Deux vérités sont déjà dites, deux prologues heureux, gros de leur tragédie qui est royale. » (haut, se retournant vers Ross et Angus) « Messieurs, je vous remercie. » (à part, il se prend le menton et fait un ou deux pas) « Ce message surnaturel qui me sollicite ne peut être ni bon ni mauvais. S’il est mauvais, pourquoi ce début véritable, promesse de réussite ? Je suis Caudor. S’il est bon, (il se lâche le menton) qu’ai-je à faire de cette idée naissante, image épouvantable qui fait se dresser mes cheveux, battre mon cœur, si fort que la poitrine se casse ? La peur est peu de chose auprès de ces visions. Oui, cette horreur contre nature, ce crime encore à l’état de rêve ; et pourtant il bouleverse mon âme, mon corps, mon univers tout entier ; tout mon être est anéanti par la pensée : rien n’existe plus que cela, qui n’est pas encore. » 

– Banquo : « Voyez comme votre compagnon est absorbé » 

– Macbeth : (à part) « Allons, si la fortune veut que je sois roi, elle peut aussi bien me couronner sans que je remue. » 

– Banquo : « Les honneurs nouveaux lui vont comme des vêtements neufs qui se font seulement à l’usage. » 

– Macbeth : (à part, avec un geste bref) « Advienne que pourra, la nuit met toujours fin au jour le plus ingrat ! » 

– Banquo : (à Macbeth) « Noble Macbeth, nous attendons votre bon plaisir. » 

– Macbeth : (remontant vers eux) « Pardonnez-moi, messieurs, mon cerveau engourdi se trouvait assailli de choses oubliées… Mes bons seigneurs, vos services sont gravés sur des feuillets que je tourne chaque jour afin de les relire. Allons retrouver le roi. (Passant devant Banquo, il s’arrête et lui souffle 🙂 « Pensez à ce qui est arrivé. Et quand le temps aura donné à toutes choses leur juste poids, nous parlerons tous deux à cœur ouvert. » (Il repart) 

– Banquo : (il parle en le suivant) « Bien volontiers. » 

– Macbeth : (il se retourne vers lui, très léger arrêt) « Jusque-là, silence. » (il se retourne vers les autres) « Partons, mes amis. » 

(Ils sortent)

 

20/08/1963

 

VÉCU

 

Roland : 59 rues des Dames Paris 18e

 

17 ans

 

1963 (fin)(?)

 

 ÉCRITURE

 

Que faire…?

Un complexe de culpabilité… 

 


J’ai tant souffert, maîtresse

 

1964

 

Ces notes ont été reprises après mon départ de Paris à Lorient

 

01/02/1964

 

LIRE – SCIENCE-FICTION – FANTASTIQUE :

 

Ces notes ont été reprises après mon départ de Paris à Lorient 

 Aandhal Vance (Am) :  « When the lilacs last in the bloomed dooryard » (Là où poussaient les lilas) 

 Demuth Michel (FR) :  « Lune de feu »,  « les huit fontaines », « L’homme de l’été »

 Borges Jorge Luis (Argent) :  « La loterie à Babylone »

 Raabe Juliette (FR) :  « Gare ton doigt de l’ondoingt »

 Nathalie Charles Henneberg :  « La terre hantée »

 Ehrwein Michel :  « Les voix dans le désert »

 Veillot Claude :  « Encore peu de caviar »

 Battin Marcel

 Georghiu Georges :  « Heureux comme Dieu en France »

 Malaval Suzanne :  « Le temps des sortilèges »  [ « point féminin godin caraca secuto c’est le principal moyen de la faringo »] ( « Ce merveilleux matin »)

 Seriel Jérôme :  « Le satellite artificiel »

 Klein Gérard :  « Un chant de Pierre »

 Drode Daniel :  « Dedans »

 Simak Clifford :  « La vermine de l’espace »

 Osterrath Jacqueline :  « Le rendez-vous de Samarkande »

 Russ Joanna :  « Émily chérie »

 Ballard J. G. :  « Le sel de la terre », « Le jardin du temps »

 James R. Montague :  « Le conte Magnus »

 Bram Stoker :  « La maison du juge »

 Aldyss Bryan :  « Jusqu’en ton sein »

 Seignolle Claude :  « Delphine »

 Cortazar Julio :  « Les fils de la vierge »

 Sternberg Jacques :  « Le reste est silence » 

 Budris Algys :  « Menaces dans le ciel »

 

02/02/1964 (après le 12/01/1964 puisque discussion ciné club)

 

VÉCU – CINÉMA

 

1/ 13 octobre  « Goupi mains rouges » (Jacques Becker),2/ 27 octobre  « Dossier noir » (Cayatte),3/ 17 novembre  « La strada » (Fellini),4/ 8 décembre  « Celui qui doit mourir » (Jules Dassin) 5/ 12 janvier  « La mort de Siegfried » (Fritz Lang) (mené la discussion de la mort de Siegfried),6/ 26 janvier  « Fantôme à vendre » (René Clair),8/ 15 mars  « La belle et la bête »,7/ 9 février  « La chaîne » (Stanley Kramer),8/ 12 avril  « Johnny Guitar » (Nicolas Ray),10/ 26 avril  « L’idiot »

 

VÉCU

 

Auberges de Jeunesse

 

Monsieur Corfmat 2, rue Saint-Pierre (A.J)

 

03/02/1964

 

VÉCU – CINÉMA

 

cinéma d’amateur

 

S.C.A 9 rue Gustave Flaubert (cinéma amateur)

 

04/02/1964

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Tous smouales étaient les borogoves »

 

16/02/1964

 

VÉCU

 

Surprise-partie

 

Hélène Françoise Michèle Évelyne Chantal Anne G. Annie T. Dominique Martine Maryse Roselyne (Marie Paule ?)

 


Robert Yves Patrice Maurice Gérard Jean-Paul Bernard Louis Jean Michel Jacky

 


Surpat

 

Commentaire du 25 décembre 2011 

 

Je me souviens que j’étais « amoureux » d’Annie T. et quand, prenant mes désirs pour des réalités, j’ai écrit nos deux prénoms au noir de bougie au plafond de la cave où avait lieu la surpat, elle avait vivement protesté, n’ayant aucune attirance pour moi. Je me souviens aussi que, plus tard, Hélène A* a été assassinée à coups de marteau par son mari, ainsi que ses enfants, je crois.  Combien a-t-il fait de prison ? Est-il encore vivant ? Que fait-il, s’il vit ?

 

    Commentaire écrit à 65 ans 

 

25/02/1964

 

LIRE – THÉÂTRE

 

Pirandello, Labiche, Tristan Bernard, Courteline, Mirbeau, Sardou

 

28/02/1964

 

LIRE – LITTÉRATURE

 

Jarry ( « Ubu »),Bernard Shaw, Mark Twain, Garcia Lorca, Dos Passos, Rilke, Tchekhov ( « La cerisaie »)

 

05/04/1964

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Si je prétendais sortir de ma condition, je ne serais rien d’autre qu’un personnage de comédie. » (Jacques Goimard  « L’homme sans chronomètre »)

 

11/04/1964

 

vécu – RÉFLEXION

 

Que faire lorsqu’on apprend que quelqu’un qu’on n’appréciait pas tellement pour sa façon de vivre est atteint d’un cancer et n’en a plus pour longtemps à vivre 

 


Je n’ai pu empêcher de me sentir coupable. Que je ne sache pas de quoi n’empêche pas que je le sois. Si l’on considérait les gens, quelle que soit leur situation et leurs mœurs, avec le même détachement et le même amour, on n’aurait pas à se sentir coupable. 

 


Là encore il faudrait distinguer celui qui agirait ainsi par désir d’un engagement philosophique valable de celui qui le ferait pour pouvoir se mettre à l’abri de son sentiment de culpabilité

 


Dans mon cas, pour moi qu’un effort de réflexion n’a pas su mettre à l’abri des impulsions partiales et des mépris injustifiés, la plus simple honnêteté intellectuelle ne consisterait-elle pas à continuer d’avoir honte, c’est-à-dire de mépriser l’autre… 

 


Mais ce qui me fait honte c’est que je ne peux pas être dans une situation claire car, maintenant que je sais, je ne peux même plus le considérer comme avant. Je ressens ce foutu truc atroce qu’on appelle de la pitié. 

 


J’ai honte de moi et je me sens plus méprisable que lui d’avoir de la pitié pour lui. 

 


Je ne le connais pas. Raison de plus car le problème n’apparaît que mieux lorsqu’il est posé par n’importe qui. 

 


Une seule chose peut me sauver : un rapport à n’importe qui, j’essaye (sans y arriver tout le temps) d’adopter une position qui, sans être méfiante, soit  « expectative », j’observe ses gestes, ses paroles et dans ce temps d’observation, par bonheur, je ne juge pas. Par bonheur je n’avais pas encore jugé ce type quand j’ai su. 

 


Je ne le méprisais pas encore. 

 


Seul le regard vigilant, lucide, plein d’amour, qu’on pose sur les gens peut nous sauver encore

 


Que me reste-t-il à faire 

 


Continuer à l’observer comme je le  faisais et toujours, surtout, avoir honte parce que j’allais le juger. 

 


La Mort remet les choses à leur place. Je n’ai qu’à fermer ma gueule.

 


(un an plus tard : ) J’ai revu ce gars-là un an après toujours aussi bien portant qu’au premier jour. Il n’a rien. Il ne fait rien non plus. 

 

ÉCRITURE – IIDÉE SCÉNARISTIQUE

 

L’église ? Le maître ? La drogue ? (= 3 zones de sujets de film)

 

25/04/1964

 

RÉFLEXION

 

L’homme qui ne parle pas. Au travail, il affûte un crayon, choisit une plume, en rejette une autre, d’un air négligent, sifflote, répond aux questions des autres ; il s’en va, dans le métro, il lit, peut-être, ou bien voit les autres sous les regards. 

 


Il arrive chez lui. 

 


Il mange vite ; il ne tient pas compte de sa famille, il lui répond vaguement. Il se lève, il redescend chez lui. Il se déchausse, se déshabille, se couche, se met à fumer. 

 


Sa journée se termine là. Ça débouche sur quoi ? Ça débouche sur rien, ou peut-être sur lui-même. 

 


Comment savoir ? Comment arriver là 

 


Éviter humiliation, la condescendance. 

 


Aimer les gens n’autorise pas qu’on leur passe des faiblesses, aimer nécessite qu’on prenne ses distances et qu’on les garde. 

 


Il faut acquérir le calme d’une réflexion intime, intérieure. Ne se livrer que peu à peu, par bribes et par certains moyens bien établis. Dans des cadres soigneusement délimités, selon des règles préalablement explorées. 

 


Éviter les gestes impulsifs. Rester calme avant tout. La Nervosité fait perdre ses moyens et mène aux fautes.

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Un siècle littéraire, une époque littéraire peut se clore par une époque théâtrale et ne débute jamais par elle » (Jean Giraudoux. Racine)

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Le grand théâtre est celui qui convainc des esprits déjà convaincus, qui émeut des âmes ébranlées, éblouit des yeux déjà illuminés, et qui laisse à son terme les spectateurs avec l’impression d’une preuve, la preuve de leur sensibilité et de leur époque. » (Idem)

 

15/05/1964

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « La pitié, ce remords ressenti par un autre que le coupable… »

 

25/05/1964

 

CITATION – LITTÉRATURE

 

 « Tous les héros de Racine forment une seule famille, effroyablement dramatique dès avant le drame. »

 

27/07/1964

 

VÉCU

 

Je reprends ces notes après un temps assez long d’interruption. J’ai passé mon bac (réussi) et je vais entrer en philo. Je compte ne pas me laisser aller à l’habitude et conserver ma curiosité philosophique. J’ai longtemps attendu cette classe. Je sais qu’en un sens elle me décevra mais je crois qu’une réflexion personnelle pourra me satisfaire et j’aurai la garantie (ce qui est important pour moi) que se poser des questions ne sera pas,( plus ), incongru et pathologique.

 

28/07/1964

 

VÉCU – écriture – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

 « Ami, je t’offre un pot ; vide cette canette.

Laisse-moi de parler d’une douce nénette, 

 Qu’un soir j’ai rencontrée, au bal, un bal paumé… 

 Un d’ces guinches de cambrousse que jamais j’oublierai… »

 

(en souvenir d’Annick, la seule  « merveille » à laquelle j’aie eu droit depuis mon enfance)

 

29/07/1964

 

vécu  – AMIS

 

Je repense souvent à toi, Bruno, j’aimerais bien te revoir, tu es le seul de mes amis que je regrette vraiment. J’ai passé avec toi des moments vraiment formidables et tu m’as fait découvrir beaucoup de choses. Je me demande si tu te souviens encore de moi. On s’est perdus de vue bêtement et je me demande ce que tu es devenu. 

 

– Note écrite à 17 ans 

 

Commentaire du 28 novembre 2011 

 

Quelques années plus tard, j’ai revu ce garçon : il était marié, « rangé », il me regardait avec stupéfaction (devant moi ? devant lui ? devant nous ? nous d’alors ? nous d’autrefois ?) Il était devenu banal, il n’avait plus « la flamme », lui qui avait essayé de se suicider « par surréalisme ». Une déception horrible 

 

    Commentaire écrit à 65 ans

 

30/07/1964

 

CINÉMA – CRITIQUE DE FILM

 

Notes sur quelques films :  « Il posto » 

 Ce film se rattache à une tradition  « classique » du cinéma, celle des Hitchcock, des Bergman, ou même des Lang. La tradition, je ne dirais pas du symbole, le mot est trop vague, trop limité, mais plutôt de l’allégorie. 

 


Il y a plusieurs niveaux dans le cinéma. Pour l’instant distinguons-en deux. Nous verrons plus tard qu’il y en a un troisième. Au premier niveau : les primitifs : l’avant-garde des Delluc, Dulac, Richter (mais pas Buñuel) en est le parfait exemple. Ceux qui croient à la vertu visuelle de l’image et ne cherchent qu’à provoquer des sensations. Ce fut le but avoué ou inavoué de tout une partie du cinéma naissant, expressionnisme inclus. Au second niveau, supérieur bien entendu, les classiques ou symbolistes. 

 


Malgré tout, pour bien faire comprendre en quoi consiste ce second niveau, il faut parler du troisième et les distinguer. 

 


Dès que le cinéma dépasse la sensation visuelle, dès que l’image n’est plus uniquement image et tend non plus à vous impressionner mais à signifier pour nous, le cinéma diverge dans deux directions différentes. C’est d’abord le deuxième degré :. Un exemple :  « Il posto » d’Ermano Olmi et plus particulièrement la fin du film : gros plan sur le visage du petit employé. Il s’assoit au bureau qu’on vient de lui assigner et relève la tête : en face de lui une ronéo débite sa paperasse. On la devine, car elle est hors champ, à son bruit régulier et monotone. Fermeture au noir, le film se termine sur ce bruit cadencé. 

 


Il est évident que ce dernier plan du petit employé accompagné de ce bruit est un symbole. Symbole de l’enlisement du bureaucrate dans le papier. 

 


D’autres en imagineront une autre, mais la phrase qui m’est venue à l’esprit en voyant ce dernier plan est :  « Il passera sa vie dans la paperasse » et même plus schématiquement je crois bien qu’un mot seul a jailli dans mon esprit :  « Paperasse ». 

 


Les films du second niveau sont tels qu’ils font jaillir en vous des noms, ou des phrases mais de toute façon des mots. Au second niveau, l’image se transmue en langage. Le réalisateur a ces mots dans la tête avant de tourner, il les a peut-être même écrits sur le script et tout le film consiste à tourner des plans qui aboutissent à répéter ces mots. Je parle d’allégorie car dans ce dernier cas l’image mène à des noms (« Liberté, Mort, Bonté » etc.) et que les noms sont le langage à l’état pur. Ainsi  « Il posto » est l’allégorie de la déesse  « Paperasse » (qui règne sur notre civilisation) et en cela c’est un grand film classique. Les films à scénario sont les allégories des scénarios.

 

01/10/1964

 

VÉCU

 

Ces notes répondent aux précédentes. J’ai commencé ma philo et je ris en lisant  « J’ai longtemps attendu cette classe… » En effet je suis en philo mais sans professeur de philosophie ce qui me met dans la possibilité d’en faire. Ironie du sort.

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

Je l’ai revue. Un instant seulement. Elle m’a revu aussi. Nous Je l’ai revue. Un instant seulement. Elle m’a revu aussi. Nous sommes arrêtés pour nous regarder. J’ai été frappé de stupeur et d’une joie si énorme qu’elle en est devenue douloureuse, paralysante. Je n’ai pas pu lui parler et je suis reparti, hagard, tremblant comme un enfant. Jusqu’au soir j’ai été plongé dans une nervosité incroyable. Je l’ai revue. C’était il y a environ une semaine. Il faut que je sache le jour exact.  sommes arrêtés pour nous regarder. J’ai été frappé de stupeur et d’une joie si énorme qu’elle en est devenue douloureuse, paralysante. Je n’ai pas pu lui parler et je suis reparti, hagard, tremblant comme un enfant. Jusqu’au soir j’ai été plongé dans une nervosité incroyable. Je l’ai revue. C’était il y a environ une semaine. Il faut que je sache le jour exact. 

 


Cette rencontre m’a procuré plus de bonheur que de surprise car je l’attendais un peu. En fait j’ai écrit  « En souvenir d’Annick… » mais je me demande si j’ai jamais réellement pensé à elle comme à un  « souvenir ». En réalité je m’efforçais de la considérer comme disparue pour toujours de ma vie mais elle y est reparue et j’attendais cela. 

 


J’ai revu Danielle aussi, ce soir, elle m’a parlé d’elle. Quand je pense que c’est d’abord elle qui m’a attiré… il est vrai qu’elles se ressemblent beaucoup mais cependant elles ont de grosses différences. 

 


Danielle est plus assurée, plus rieuse que sa sœur. Elle est plus vieille. Cette rencontre avec Danielle (qui m’a d’ailleurs autant paralysé et bouleversé que celle avec Annick) est une confirmation. Je ne peux plus douter maintenant qu’Annick a reparu sinon dans ma vie du moins dans mes pensées. 

 


Cette nuance est importante car elle signifie qu’il me faut choisir une ligne de conduite : j’aime Annick, je pense à elle, mais elle n’est pas réellement engagée dans ma vie. Vais-je tout faire pour cela ? Suis-je assez sûr de tout ? De moi, d’elle, de mes souvenirs, de l’avenir, des autres, du destin 

 


J’ai l’impression d’être au seuil de quelque chose, sur le pas d’une porte mais qui ouvrirait sur quoi 

 


Il peut ne rien se passer : je la revois (car je la reverrais certainement d’une façon d’une autre), je me raisonne et me fais passer pour indifférent… Toute l’histoire s’écroule ou plutôt ne s’écroule même pas car elle ne commence pas. 

 


Mais je sais bien que je n’en ferai rien. Je l’aime trop pour cela. En fait je ne sais pas ce que l’avenir ne réserve et j’aimerais le savoir. 

 


Quoi qu’il en soit je suis sûr d’une chose : je vais la revoir, je la reverrai et, comme j’ai besoin d’elle, je resterai avec elle jusqu’au bout. 

 


(Je sais que ces notes sont stupides et ne servent à rien, pas même à mettre mes idées au clair. Il y avait longtemps que je ne faisais pas quelque chose, emporté par ma sensibilité, contre ma raison.)

 

03/10/1964

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

Je lui ai parlé. Elle allait prendre le bateau. J’ai été heureux.

 

04/10/1964

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

Je suis allé l’attendre au retour du bateau. Je l’ai emmenée en moto faire un tour la campagne. Elle n’a pas voulu aller en ville. Je lui ai dit que je l’aimais. Elle m’a souri. 

 


J’ai besoin d’elle… pour en faire une femme, ou faire de moi même un enfant ?

 

08/10/1964

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

J’ai écrit  « Nous sommes ensemble et cela suffit. » Le danger n’est-il pas dans le fait que justement nous ne sommes pas ensemble 

 


Car enfin une fille que je ne connais pas, si je ne la vois qu’une fois par semaine, est-ce suffisant pour bien la connaître ? Et sinon peut-on aimer et continuer à aimer longtemps quelqu’un qu’on ne connaît pas 

 


En vivant tous les jours avec elle je pourrais l’aimer sans la connaître mais en la voyant si peu souvent…

 

11/10/1964

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

J’étais arrivé à la confiance et il faut tout recommencer. Mais je n’ai pas peur, je me remet à cette tâche, conquérir une femme, sa confiance, sa compréhension, c’est si beau, et si tendre, cet animal qui pose sa tête sur votre épaule et le vent qui passe dans  ses cheveux. Elle tremble de froid contre vous et vous la réchauffez en mettant vos deux bras autour de ses épaules.

 

ÉCRITURE

 

Je n’attends rien d’autrui mais qu’il attende de moi…

 

ÉCRITURE

 

Je veux rêver la réalité pour lui donner l’intensité du rêve.

 

12/10/1964

 

ÉCRITURE

 

Romantisme.

 

18 ans

 

18/12/1964

 

VÉCU – FEMMES – ANNICK DE GROIX 

 

Annick est sortie de ma vie comme elle y est entrée, brusquement, merveilleusement, tragiquement. Un bateau qui vire de bord et sort du port en disparaissant derrière un môle, de la brume et la ville qui continue à vivre autour. Je dis qui continue à vivre, mais rien n’est mort. Mon histoire a été telle que je l’avais rêvée et prévue, courte, histoire sans histoire, en somme. Si on totalise les heures passées avec elle, on arrive à peine peut-être à une nuit entière. Commencée au début de la nuit, dans un petit bal, elle s’achève à l’aube, sur un embarcadère, à l’aube d’une nuit étirée, allongée à quatre mois. Un rêve très bref et très beau. Un espoir insensé, un petit visage maigre et triste. Un rêve dont on garde vivace encore au matin le souvenir précis et vague à la fois, un rêve qui pourrait être une réalité, on ne sait pas trop si on l’a vécu ou non. 

 


Je lui ai écrit après n’être pas allé la chercher au bateau. Je lui ai dit que j’avais bien compris son indifférence et que je n’insistais pas. Elle m’a confirmé cela en écrivant à son tour

 


Après cela, je l’ai revue une fois au ciné-club ( « Noblesse oblige »). Nous nous sommes ignorés. Je l’ai revue ensuite en passant en voiture. Je me suis arrêté, je lui ai parlé. Elle était intimidée par mon frère. Je l’ai revue avec sa sœur et un gars un dimanche en ville. Elle a fait comme si elle ne m’avait pas vu. 

 


Puis je l’ai revue à la quinzaine de la Tchécoslovaquie. Elle m’a dit bonjour de loin en me souriant. Les choses étaient redevenues normales. Je l’ai encore revue au ciné-club ( « La jetée »). Elle m’a dit bonjour. 

 


C’est donc terminé, d’ailleurs le jeu avait assez duré. Ce n’est plus de mon âge. En m’y laissant prendre, je voulais secrètement retomber en enfance. J’y ai réussi. Il fallait bien redevenir une grande personne. À part ça je pars pour Paris après-demain. Multitude de sentiments complexes et contradictoires. Impression de retrouver quelque chose de connu et d’inchangé. Peur de l’ennui. Plus d’exaltation après l’annonce que Jocelyne restait. M’étais fait  des idées sur ces vacances. La vie nous détrompe toujours. Suis curieux comparer ces impressions pré-parisiennes avec ce que je ressentirai en revenant et sur le moment. 

 


J’essaierai de  penser à reprendre ce carnet à mon retour de Paris après les vacances de Noël.

 

1965

 

11/06/1965

 

VÉCU

 

Ces choses-là n’ont plus d’importance aujourd’hui. Problème de l’avenir. Je vais passer le bac. Réussite ou échec ? Si je rate  pion ? Si je le réussis ? Prof ? Je crois que je renonce au cinéma. Ne pas se faire d’illusions. Gagner ma vie. Ne plus dépendre de mes parents. Dans combien de temps serait je capable gagner ma vie ? La vie = aliénation (Cf. théorie marxiste de Lefèvre) dans combien de temps pourrais-je être avec Jo sans emmerdements ? On ne fait jamais ce qu’on veut. Vie = contraintes. Les gens s’en rendent compte mais ne peuvent pas faire autrement. Le premier problème n’est pas d’être intelligent. On ne fait pas le mal par ignorance. C’est le mal qui se fait à travers nous dans le monde. Impression d’être pris dans un engrenage. Nécessité d’accepter ces contraintes. Lucidité. Problème de la mort au bout du compte. 

 


L’amour. L’art. La collectivité. Dictature nécessaire dans les débuts du Marxisme. Plus d’enthousiasme. Lucidité lourde à porter. Est-ce cela être un homme ? Les hommes d’aujourd’hui ne sont pas des hommes. Accepter l’ordre social mais reconnaître qu’on y est obligé et ne pas le défendre. Bourgeois : le défend. Certains éléments de la petite bourgeoisie sont récupérables.

 

19 ans

 

Mes carnets personnels depuis 1963