Gros accès dépressif. Failli pleuré (morceau jazz « Let’s the children play » → idée des enfants. Gros chagrin. Ce qu’ils subissent. Ce qu’ils supportent. Ce qui les marque. Innocence fugitive. Ils deviennent si vite des adultes désabusés. Surtout ceux qui ont été abusés. Et les plus fragiles, les plus sensibles, les plus purs sont les plus abusés.
Une pensée que je n’ai jamais notée. Difficile à noter.
La mort d’Agnès. Mon plus grand, mon plus immense chagrin.
Tête baissée devant cet arrêt du destin : rien à y faire.
Mon enfant, si tu lis cela, c’est que tu es vivante.
Vis. Vis pour moi. Vie de toutes tes forces. Jusqu’au dernier moment.
Quand j’ai écrit :
« Les enfants, on les aime de toutes nos forces, de toute notre âme, mais rien n’empêche ce crime : quand on les a mis au monde, on les a mis à mort. » je ne me rendais pas compte à quel point c’était mon mal que je disais. Ma torture sans répit et sans fin.
Autre chose que je ne crois jamais avoir noté (cependant j’en suis conscient depuis longtemps, depuis l’origine, depuis le moment où j’ai pris la décision. Mais pas noté, je crois. Je n’ai pas voulu d’autre enfant qu’Agnès (lui faisant, une fois de plus, payer, à elle, un prix très lourd), c’était pour ne pas créer un être qui allait se retrouver exposé, sans fuite possible, à l’obligation de mourir.
– Note écrite à 67 ans
Elles se sont mariées. Elles deux et leurs quatre témoins.
– Note écrite à 67 ans
Ce matin : mail d’Agnès me demandant de lui écrire un petit texte de 156 signes maximum pour présenter (lien Internet) sa série (from iPad = étonnant) « Unbuilt »).
L’ai faits : je lui ai proposé un texte incluant le mot « architecnature », que je croyais avoir inventé, mais qui ne l’est pas hélas (comme souvent) (vu dans Google).
Mais elle me dit qu’elle l’aime beaucoup, que c’est exactement ça…
Ça m’a fait (très) plaisir !
– Note écrite à 67 ans
Hier, dans un de mes carnets, retrouvé un dessin (assez élaboré) qu’elle avait fait sur une page → lui ai, envoyé (+ jeu de mots fait ensemble : « Ceux qui ont des problèmes d’argent de Porsche… » → (très bon !) (Le seul exemple d’écriture en commun !)
– Note écrite à 67 ans
J’ai dit à Agnès que je ne croyais plus en l’humanité. Que je noircissais le tableau (*). Que j’étais « dépressionniste » (ce qui est adéquat en matière de tableau ! 🙂
(*: Que je ne tiens pas à faire en sorte que « le verre soit à moitié plein », alors qu’elle : oui…)
(texte barré : traces d’un lapsus inversant cela qui montre que je ne suis pas si pessimiste et négatif que cela…) (2015 : from Internet : « dépressionniste » fait)
– Note écrite à 67 ans
Hier : déjeuné avec Agnès (restau japonais Matsuri, rue du Bac) : lui ai dit, pour Béatrice → Agnès pas du tout opposée. « Elle est gentille ». Suis content. Lui ai bien expliqué comment ça s’était passé : ma prise de conscience, le temps qu’on a pris, nos sentiments, nos projets…
M. va bien (enfin : le mieux possible). Elles partent trois semaines aux USA à juste après notre retour du Maroc…
– Note écrite à 67 ans
Lui ai envoyé SMS ce matin à propos idée dessins from films : pour un film d’Hitchcock : une toute petite silhouette gros bonhomme (pas forcément Hitchcock) en arrière-plan.
– Note écrite à 67 ans
Le téléphone a sonné vers 9h30, je crois.
Son grand-père est mort cette nuit. Il allait avoir 99 ans.
– Je ne me suis pas encore autorisée à pleurer, dit-elle.
Je me suis senti proche d’elle, plein d’une compassion dont je me méfie et que je me suis retenu de dire, car elle pourrait me submerger et l’affaiblir au lieu de l’aider.
Voilà une chose dont j’ai peur pour l’avenir et que je ne veux pas : que mon excessive sensibilité me rende les difficultés à venir (maladie – déceptions – mort) difficiles à supporter et que je manque de courage.
Je ne le veux à aucun prix.
C’est la chose la plus importante pour moi.
Moi qui pensais à l’informer de la rupture, à lui envoyer les notes plus haut, peut-être ! Heureusement le timing du destin m’a sauvé !
– Note écrite à 68 ans
Je la rappelle, vers 21h30, pour savoir « comment ça va ». N’osant pas prendre une voix enjouée, ni même « normale », j’adopte un ton un peu « funéraire ». Elle me dit que ça va « et heureusement, sinon ma voix l’aurait fait déprimer ». Je lui explique que j’ai cherché ma voix (sic !) et que, si je ne l’ai pas trouvée, je m’en excuse. Ça la fait « (légèrement) sourire.
C’est cela qui me déprime : en toutes choses, être « à côté de la plaque » et, particulièrement, manquer de légèreté.
Impression qu’elle me fait et à juste titre !
Voilà qui réveille mon angoisse de mort, cette pensée de mon impréparation, inadaptation à la mort évoquée plus haut, où j’ai peur d’être un poids pour elle, mais aussi d’avoir besoin d’elle (et qu’elle ne me réponde pas).
– Note écrite à 68 ans
Mes carnets personnels depuis 1963