VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

La beldoche est arrivée ! Je me retranche dans le mutisme. La présence de mes parents me gêne, canalise mon attitude. Je partirais bien volontiers. Les voilà plongés dans leur conversation imbécile, hypocrite, respectueuse des conventions : pas de remous, pas de vagues. Chacun n’en pense pas moins. La beldoche est très à l’aise : elle est soutenue par sa fille ! Décidément Jocelyne a toujours choisi le camp de ses parents, ne comprenant même pas, ne parvenant même pas à concevoir ce qui m’éloignait d’eux tout autant que des miens, cette gangue, cette prison de médiocrité, d’illusions, d’apparences soigneusement entretenues…
Oui mais : Agnès ! Toujours la lancinante torture de cette pensée ! Je reviens à l’époque où elle n’était pas là : qu’est-ce qui me retenait près de Jocelyne ? Ma faiblesse, mon inconscience, celle-là même qui m’a joué de sales tours par ailleurs (Jacquet – Denis Manuel – etc.)
Ah, si c’était à refaire ! Si on pouvait faire marche arrière, comme dit la complainte ! Je reviendrais bien au tout début : à ce Lorient de 63. Quand je compare le trajet de Zyf au mien : la différence d’itinéraire ! Le temps que j’ai perdu. Ce n’est tout de même pas un hasard si j’ai fait « La saisie » en 74. Je me souviens de cet élan, de cette détermination qui m’a jeté sur mes pieds, m’a lancé en avant, balayant les difficultés, cet élan créateur, cette énergie…
Hier soir, je repensais à cette période de 74. À ces huit mois de liberté. Que d’erreurs, bien sûr, que d’illusions. Mais ça en valait la peine. Si j’avais tout de suite pris un avocat, si j’étais allé jusqu’au divorce, le problème Agnès, qui a été mon principal frein, aurait été réglé.


Je sens l’hostilité latente de Jocelyne mon égard.

– Note écrite à 31 ans

ÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE – ÉCRITURE – HUMOUR

Mon humeur en ce moment est au flash-back. Sur ma vie j’essaye de faire un plan d’ensemble. L’idéal serait de partir en travelling pour aller faire sur les choses un grand panoramique. Je garde Agnès en gros plan. Le risque est que tout ça finisse par une plongée…

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

Si je pars, je me laisserai pas souffler Agnès comme la première fois ! Quand je pense que cette salope avait interdit à la nourrice de me la laisser prendre !
Ah ! Ne pas me laisser avoir par ses inévitables sanglots, son air tragique de victime innocente.
J’écris comme pour rendre irrémédiable (les paroles ou les pensées s’envolent, les écrits restent) mon projet de départ.
Me jeter à l’eau. Me jeter dans la solitude. L’affronter. La vaincre

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

(3 h du matin)
J’ai dans la tête la chanson enfantine du bouquin que j’ai acheté à Agnès : « Mon âne, mon âne, a bien mal à la tête… » et, en même temps, je pense très fort et très concrètement à partir.
Je n’ai pas réussi à dormir, il a fallu que je rallume, que j’aille chercher le dernier paquet de cigarettes dans le bureau où dormait mon père et que j’ouvre ce carnet pour écrire, pour « fixer » les choses, parce que – comme cela m’est déjà arrivé –ça m’a « sorti de ma torpeur », mis debout, « réveillé », secoué !
Partir. La quitter. Quitter cette merde. Cette mort. Cette prison. Cette médiocrité. Trouver la solitude, je le sais, les moments difficiles, je le sais. Surtout que mon expérience passée m’aura servi de leçon : ma libération sera solitaire ou ne sera pas !
Je m’organise : d’abord l’hôtel, en attendant.
Trouver une piaule. Une merde, je m’en fous. Douche : dans l’immeuble, s’il y en a. Sinon, on verra. Cuisine : je ne boufferai pas là ou du pain et du jambon ou alors : camping-gaz. Meubles : matelas-mousse. Une table. Une chaise. Une lampe. Une armoire (?).
Mon problème, c’est le téléphone. Surtout en ce moment. Et le courrier. Le faire expédier sur boîte postale.
Mais je crois bien que cette fixation sur le concret est une surenchère, un activisme destiné à déplacer l’apparition (la mienne) de l’abstrait, c’est-à-dire de la décision qui naît d’une chose pas concrète, d’un sentiment, d’une conviction.
J’ai attendu. J’attends le moment où je serai sûr que je ne peux pas faire autrement.
En fait, il faut envisager de changer ma vie. Ne pas être acculé par elle, mais la dominer, la diriger, la prendre en main.
Qu’espérer de Jocelyne ? Qu’espérer lui apporter ? Elle soutiendra sans doute farouchement qu’elle trouve son compte à la vie avec moi. Mais, en réalité quel « contentieux » entre nous !
– Le vieux problème sexuel, jamais réglé, réactualisé par cet enfant dont je ne veux pas : je refuse de faire l’amour avec elle si elle ne prend pas la pilule, elle ne veut pas la prendre – vieux refus – voulant cet enfant et s’accommode bien, s’accommode en tout cas, de cette cessation de nos rapports.
– Nous nous éloignons l’un de l’autre sans manque. Nous n’avons pas à être ensemble d’autre satisfaction que celle de l’habitude.
– Nous ne faisons plus rien en commun.
Nous ne nous aimons plus. L’amour, cette joie d’être ensemble, cette compréhension, cette complicité… J’ai l’impression d’en avoir perdu la clé, que quelque chose s’est brisé en moi et que j’ai vis-à-vis de l’amour désormais une très grande méfiance, un manque absolu d’illusion. De ce côté-là, ce n’est peut-être pas plus mal. L’avenir me le dira. Si je pars, je me promets que c’est la lucidité qui conduira ma vie

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

Ce soir j’ai voulu parler à Jocelyne, savoir comment elle voit les choses, si, des fois, elle n’étouffe pas, elle aussi, et ne comprend pas la nécessité de nous séparer.
– « C’est pas le moment : j’ai sommeil et j’ai mal au crâne. » Je me suis tu.

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

Elle a ouvert ce carnet et l’a lu, ce matin. Nous avons parlé : je suis lâche, égoïste, je n’ai pas fait d’efforts, tout est de ma faute.
J’ai dit que ce n’était pas possible de continuer ainsi, que nous avions tout essayé.
Je n’ai pas essayé. Même sur la seule fois où j’ai essayé vraiment – l’analyse – ça a été le même discours. Contre.
Je suis venu chez Dominique avec Agnès, qui joue avec Alexandre.

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

Je suis parti. Ce matin. Elle est arrivée en courant. Elle a cherché à me retenir, mais pas trop. Elle a pleuré. Je suis au « Familia-hôtel ». Quel ironique symbole.
C’est la première fois que je suis à l’hôtel à Paris, mise à part la pension B. (« Chez-soi ») qui était aussi une sorte d’hôtel, d’une certaine façon.
Tout à l’heure : le balcon, la rue, les cafés. Je me suis cru un instant en été.
En fait, elle ne croyait pas que j’allais partir. Je l’ai compris hier soir en rentrant.
Comme c’est dur de faire mal. Et quelle sera ma route ? Est-ce qu’au moins ça vaut le coup ?
Ce matin, en arrivant au montage, avec Françoise, j’ai acheté le Figaro, pour les petites annonces.
J’ai cerclé les studios. J’avais des rendez-vous pour en visiter. Je n’y suis pas allé. Je suis seulement allé en voir un, que m’a fait visiter la gardienne – qui m’a fait attendre pour « finir son courrier » – rue Georges Pitard. Gadget marrant : au 30e étage : une piscine ! Avec des baies vitrées dominant Paris. Un vrai décor (mais le syndic refuse les tournages).
Le studio donnait sur les voies ferrées de Montparnasse. Merci bien pour les trains…

Commentaire du 20 juin 2015 :

Je ne savais pas que j’allais vivre pendant huit ans, de 1998 à 2005, au-dessus des trains de la Gare d’Austerlitz, du RER, et du métro, au 13e étage d’un foyer Sonacotra donnant sur les voies.

Commentaire écrit à 68 ans

Après y être allé, je suis passé à Monttessuy. Petite affichette mise par un caméraman des actualités télévisées. Je dois visiter mercredi. Mais c’est petit. L’intérêt c’est l’absence de bail qui me permet de partir quand je veux, l’absence d’agence qui m’éviterait de filer du fric à des requins et le prix « normal ».
J’ai pris conscience que je n’avais pas réussi à quitter ma mère (Œdipe mal réglé) → masturbation. J. était pour moi la seconde mère. (En lisant  » J. était « , j’ai lu : « j’étais ». Quel sens ?)

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

En sortant de l’hôtel : voiture en fourrière !
Merde !
Appeler commissariat : 8, rue Jean-Baptiste Berliet (Paris 13e)

Café en face de Monttessuy. Puissante sensation de solitude, aggravée par cette pénible rencontre avec Gilles Daude attablé avec Audouard et autre Sarraut (j’en sais rien, il y avait sûrement des gens bien là-dedans, mais la parano fonctionne à fond la caisse).

Cette sensation vient sûrement aussi du fait que actuellement, je n’ai pas de « chez moi ». Je vais tout à l’heure visiter un truc rue Saint-Jacques.
On est en hiver…

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

 20h50 : Henri ne répondant pas (je devais passer chez lui ce soir), je me suis couché. Tout à l’heure, je l’ai appelée pour donner mon numéro ici, au cas où…
Elle a hurlé au téléphone, m’a insulté, a posé des ultimatums. Je pensais qu’elle accepterait les choses pas trop mal, mais j’ai de plus en plus de mal à le croire. Pourtant, au début, elle m’a dit que, bien que très malheureuse, elle allait voir un psychologue et essayer de « repartir à zéro ».

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

Ce soir j’appelle les parents pour leur donner mon adresse. Maman m’apprend que, dès 74, cette salope a tout déballé de notre vie et qu’on en était arrivés- sans qu’elle m’ait rien dit (la colère me remue en écrivant) – au point où même son père me surveillait quand j’allais aux toilettes ! « Vous n’avez fait que des gamins ! » dit la beldoche, la venimeuse, l’ordure prétentieuse et reptilienne, « Ma fille a besoin d’un homme… »
Je crois bien que ça, ça me fait mal. Parce que je suis bien obligé de reconnaître qu’elle a raison et j’allais dire : que ça me fait voir combien les rapports hommes-femmes passent par la domination, l’établissement d’une domination du mâle sur la femelle (tout ce que j’aime), mais je m’aperçois que c’est peut-être vrai pour le vieux couple. Ça ne peut pas être vrai pour l’avenir.
Un homme… Ma faiblesse, ma lâcheté, mon problème, comment se sentir homme quand on se branle ? Il va bien falloir que je règle ça. Je ne peux plus faire autrement
Pourtant j’essaye tant bien que mal de m’en sortir. Ce soir j’ai abordé une fille, sur la passerelle du plateau du « Grand échiquier » : Virginie. Elle ne faisait triquer. Qu’est-ce que j’aimerais niquer une fille vraie et pas en papier. Espoir débile : qu’elle m’appelle…

– Note écrite à 31 ans

VÉCU – AGNÈS – 1ÈRE DES 4 FEMMES DE MA VIE : JOCELYNE

On est samedi. J’avais prévenu, par Dominique, que je prendrais Agnès ce week-end. Je l’avais confirmé par lettre, puis avais téléphoné, suite à ce coup de fil, à ma mère.
Je suis arrivé ce matin. Fermé. Trouvé un mot : elle s’était tirée en week-end avec Agnès, prétendant n’avoir pas pu me joindre hier soir. Désormais, c’est vraiment la guerre. Elle compte sur ma faiblesse. Je ne sais pas encore comment je vais réagir.

– Note écrite à 31 ans