Un an d’intervalle et je reprends ce carnet. Mais est-ce que je le reprends vraiment ? Quand je pense que je ne trouve même plus la force de noter les quelques maigres idées dont je parsemais autrefois ce carnet rouge, entre deux épanchements inutiles, du style « Viens que je pleure sur ton épaule… »
Ces derniers jours, j’en ai eu, deux ou trois, des idées. Enfin deux ou trois choses à noter. Mais je me suis empressé de les oublier (naturellement).
Agnès parle beaucoup mieux maintenant.
Il y encore quelques groupes de sons qu’elle n’arrive pas à formuler, mais c’est merveilleux de l’entendre répéter les mots en les associant aux choses. Ce qui est peut-être encore plus frappant, c’est les abstractions comme : « Moi », découvert il y a déjà quelque temps, « Pourquoi ? » ou « Je ne sais pas » (entendu pour la première fois aujourd’hui). Ses facultés d’imitation se développent également et, par extension, la notion de jeu (au sens théâtral) avec un magasin ou une cuisinière imaginaire où elle va chercher les aliments pour nourrir sa poupée, nous ou elle-même…
Notables aussi : son agressivité. Elle nous frappe, nous crache à la figure et nous défie verbalement. Jocelyne ne prend pas très bien la chose. Moi non plus, parfois (l’« ingratitude des enfants »…)
Mais ce qui domine – pour moi, en tout cas – c’est l’émerveillement de la voir grandir et acquérir de plus en plus de choses. La voir apprendre à pédaler sur un tricycle, à donner un coup de pied dans un ballon, allumer ou éteindre la lumière, ou la télé, baisser sa culotte, autant de choses qui nous paraissent normales et dont elle renouvelle la vision. Autre chose remarquable : elle a parfois des peurs, subites, et dont la motivation paraît parfois faible : peur du chat ! Parfois, au contraire, évidente (les chiens, souvenir de Daisy ou d’un autre chien effrayant ?) Peur de certaines séquences à la télé (je ressens à travers elle combien la télé est une lucarne, sur un « réel » tangible, à portée de la main et qui nous met à portée de sa propre main).
Je regrette assez souvent de ne pas la photographier davantage, ni de l’enregistrer, car sa voix et sa façon de parler vont changer très vite. Je compte le faire bientôt.
L’autre jour, ses grands-parents étaient là, au grand complet (que la vie les préserve). Elle a découvert « C’est une méchante mère », de Kerval, sur l’électrophone. « Boum ba liboum » est devenu pour elle : « Baboum » Qui peut dire combien une chose pareille est émouvante ? Elle l’a réclamé vingt fois et, vingt fois, elle a dansé, car elle adore ça.
Il semble qu’elle aimera la danse, mais tous les enfants, presque, ont une période « danse », du moins, il me semble. Moi-même je dansais, enfant !
– Note écrite à 28 ans